jeudi 15 novembre 2012

Repos

Rentrer pour deux jours en France, chez mes parents, c'est comme faire glisser lentement le poids du métronome le long de la tige jusqu'à 52 et ne battre plus qu'au rythme des quatre "On mange!" quotidiens, oublier que j'ai des élèves, un projet de typographie à remanier, des histoires de pirates à inventer pour une comédie musicale, les répétitions de musique de chambre sont loin, les listes de vocabulaire italien n'ont pas tant d'importance que ça et les arpèges fragiles de mon prélude de Rachmaninoff peuvent bien attendre un peu. Je me réveille quand j'ai assez dormi, et je n'ai qu'à mastiquer ce qu'on me met dans l'assiette. L'emploi du temps qui quadrille mes pensées s'évapore à mesure que le TER s'enfonce dans les villages en "-ingen" et en "-hausen" et dans ma tête vidée résonnent pêle-mêle quelques fragments mélodiques - le deuxième thème de la Symphonie Concertante de Mozart, le dernier mouvement du quatuor en sol mineur pour piano et cordes de Brahms, la basse de As tears go by des Stones. Ma mère me parle de ses cours sur Gryphius et de ses élèves mongoloïdes, mon père me raconte qu'untel, alors qu'il venait tout juste de faire l'acquisition d'un tracteur et d'une remorque pour transporter les stères de bois qu'il avait achetés l'hiver dernier dans la forêt communale et qu'il comptait revendre le double de leur valeur à des vacanciers allemands naïfs, a subitement décidé de partir vivre dans moulin en Corrèze déniché sur Leboncoin, et pendant ce temps tout ce bon bois qui pourrit alors que cet abruti l'a payé, quel gâchis. Mémé a découvert une recette de pâte à tarte révolutionnaire qui ne contient que quatre cuillères d'huile et me séquestre dans la cuisine pour me faire l'apologie de son robot ménager, pépé pouffe derrière son Chasseur Français. Je vais aller déchiffrer quelques préludes de Samy Moussa et ce soir je prendrai un bain.

5 commentaires:

  1. Je n'ai pas trouvé sur votre blog, où je suis parvenu au gré d'une navigation dont j'ai déjà oublié les arborescences, les suggestions concernant un endroit sympa où sortir ce soir à Berlin que je cherchais initialement (mais je ne suis pas si sûr que ça d'aimer les endroits sympa en fait) (et d'ailleurs je suis trop fatigué pour sortir), mais je trouve vos posts amusants et talentueusement écrits. Dont acte.

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    1. Merci, merci! Si vous voulez aller agiter votre croupion, je vous conseille Fuchs und Elster dans la Weserstraße, bas de plafond, bon enfant et il y fait bien chaud. Pour boire un coup pas trop cher dans un bar fumeur sombre et douillet avec poêle à bois à alimenter soi-même, il y a le Kuschlowski dans la même rue. Et si vous êtes plutôt adepte du thé au gingembre frais tranquillou avec un journal et de la musique calme, il y a le formidable Café Butter dans la Pappelallee (Prenzlauer Berg).

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    2. Comme c'est gentil de répondre!

      Je prends note de vos suggestions pour une autre fois (même s'il me faudra vérifier de près les clauses de mon assurance RC avant d'alimenter le poêle à bois de Fuchs und Elster, étant donné ma légendaire maladresse).

      Pour ce soir, une Steinpilzrahmsuppe de chez Lidl en guise de repas puis un verre de blanc et la lecture des Poésies de A.O. Barnabooth de Valéry Larbaud feront l'affaire.

      (Connaissez-vous Larbaud?

      J'ai senti pour la première fois la douceur de vivre,
      Dans une cabine du Nord-Express, entre Wirballen et Pskow.
      On glissait à travers des prairies où des bergers,
      Au pied de grands groupes d'arbres pareils à des collines,
      Etaient vêtus de peaux de mouton crues et sales...

      J'espère que vous aimez car ce n'est pas un copier-coller, c'est recopié de mes blanches mains...).



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    3. Je ne connais pas encore Larbaud mais j'ai très envie de découvrir. J'avoue que votre citation me laisse un peu circonspecte, je n'arrive pas à savoir si je trouve ça beau, gentiment désuet ou carrément neuneu. J'aimerais en lire plus!

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  2. Les choses belles sont toujours un peu désuètes et neuneu en quelque façon, et c'est très bien comme ça.
    Ce qui n'empêche pas de rigoler le moment venu d'ailleurs.
    (Si vous êtes musicienne, lisez la correspondance d'Erik Satie, ça coûte un bras, mais c'est drôle).

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