jeudi 22 août 2013

Moderat VS. Königsberger Klopse - Le clash !

(je t'ai fait une coupe de cheveux un peu ringarde,
j'espère que tu ne m'en veux pas)
Cher lectorat, toi qui me suis depuis toutes ces années/semaines/minutes (ATTENTION! Un seul choix est possible!), tu sais que je ne recule devant rien pour entretenir la flamme qui brûle en toi pour moi (voir fig. 1).

Pour toi, par amour des expériences extrêmes, j'ai décidé de faire une critique comparative du dernier album de Moderat et d'une portion de Königsberger Klopse sous vide.

Pourquoi le dernier album de Moderat? Parce que tous les médias branchés en parlent, parce que Flux FM (sorte d'équivalent allemand de Radio Nova sans la nostalgie soul) nous assène Bad Kingdom depuis des semaines, parce que les Berlinois, entre deux rondelles de currywurst, n'ont que ça à la bouche. Pourquoi les Königsberger Klopse? Parce que je n'en ai jamais mangé alors que pour 93% des Allemands, il s'agit là de la spécialité régionale la plus célèbre de leur pays.

Nous avons donc d'un côté Moderat, un conglomérat (ou supergroupe) né en 2002 du rapprochement des gars de Modeselektor, Gernot Bronsert, né en 1978 à Woltersdorf, un village qui possède une écluse et un tramway, et Sebastian Szary, né en 1975 à Rüdersdorf, ville célèbre pour ses carrières de calcaire et son Rockpoet, et de Sascha Ring alias Apparat (en français : Appareil), né en 1978 à Quedlinburg.
De l'autre, il y a une barquette de Königsberger Klopse, un plat originaire comme nos trois artistes d'Allemagne de l'Est et qui consiste à pêcher des boulettes de viande et des pommes de terre nouvelles dans une mare de sauce béchamel aux câpres.

L'album dont il est question est intitulé II parce que c'est le deuxième et parce que c'est ringard de chercher à donner un titre à un album. Il est orné d'un homme en chemise orange qui, sur un fond bleu pâle, enfile ou retire un visage humain en entr'ouvrant la bouche. D'entrée de jeu, l'image est ambiguë : ce type qui n'a pas l'air en très bonne santé (hey, sa peau est mauve, quoi.) est-il en train de se dévoiler ou de se masquer?
Mes Klopse, eux, ne laissent pas de place à l'équivoque : ils s'affichent joyeusement dans leur petite assiette de sauce en compagnie de jolies patates bien jaunes saupoudrées d'un persil qui ne fait même pas l'effort de la vraisemblance et flotte sur l'image en faisant la nique à toutes les règles de perspective (voir fig. 2).



22h53, j'ouvre l'emballage de ma barquette de Klopse et lance l'album de Moderat.

01 The Mark (Interlude) Dans l'écuelle en plastique noir gisent cinq boulettes grisâtres, les pommes de terres ont un teint cadavérique. Elles sont plongées dans une espèce de liquide séminal à la texture inquiétante : quand j'y plonge le doigt, il en ressort sec. L'effroi me glace. Le vent souffle dans les feuilles sèches. Il pluviote. Une sorte de chœur synthétique qui fout bien les foies stagne sur un accord mineur. Peu à peu, un frelon menaçant et visiblement défoncé, à en croire ses bégaiements et les flatulences dont il parsème ses propos décousus, émerge de l'ombre. Vers 1'34, son état se dégrade considérablement et le glissando lamentable dans lequel il s'échoue nous fait bien comprendre qu'il n'y a plus grand'chose d'autre à faire que le laisser cuver son pot belge. L'histoire pourrait se finir là comme une fable de La Fontaine, j'irais siroter tranquillement ma sauce aux câpres et me mettre au lit. Mais non, car...

02 Bad Kingdom ...SURPRISE! Un éléphant arrive à cheval sur un gentil beat dubstep qui ressemble diablement à l'instru de Wicked, d'Ali G. Et voilà que Sascha (comme Sacha Baron Cohen! cette coïncidence n'est-celle pas troublante??) se met à chanter par dessus tout ce bestiaire avec sa voix de fausset. "This is not what you wanted, not what you had in mind". Effectivement. Je ne m'attendais pas à ce que les Königsberger Klopse soient un truc aussi minable, merde quoi, König ça veut dire roi, et puis l'emballage en carton affichait fièrement "Genießerküche", "la cuisine des gourmets". Je plonge rageusement mon écuelle dans son bain-marie tandis que la chanson s'achève sur les ahanements torturés de Sascha qui se prend pour Amy Winehouse.

03 Versions Nouveau morceau, même nombre de BPM. Beaucoup de réverbération, plusieurs couches translucides se superposent. Des voix, très loin, disent "hé" et "ho". Le clin d'oeil à Tragédie est évident pour l'oreille affûtée du mélomane. C'est peut-être ça, la marque d'un album de qualité : de même que Tarantino fait du cinéma sur le cinéma ou que les compositeurs du Moyen-Âge reprenaient dans leurs morceaux les cantus firmi de leurs maîtres, Moderat rend subtilement hommage à ses influences musicales (et avez-vous remarqué que si l'on remplace les deux premières lettres de "Moderat" par un G et un I et qu'on y rajoute encore un E, on obtient le mot Giderate, qui, certes, ne veut rien dire mais est une anagramme PARFAITE de "Tragédie"??? Là encore, je ne crois pas à la coïncidence). En outre, le beat, de par ses contretemps en maracas, a une couleur tribale enjouée qui n'est pas sans rappeler la Compagnie Créole. Je me surprends à fredonner "Ca fait rire les Klopse" et constate que ces derniers, sous l'effet de la chaleur, frissonnent à présent dans la sauce comme des oeufs de gremlins.

Genèse de l'instru de Versions (allégorie)
04 Let in the Light Pour ce morceau, Sascha Ring a été s'immerger pendant deux heures et demie en continu dans la béchamel le Schlachtensee, un petit lac au sud de Berlin qu'il affectionne tout particulièrement. Il explique : "On voulait essayer de mettre en musique cette sensation démente qu'on avait quand, après une nuit blanche au Sisyphos, on allait faire des concours d'apné au lac avec les potes. Tu sais, quand tu perds le contrôle, que tu as des flashes de MD et le cerveau qui bourdonne sous la pression de l'eau. En général c'est le moment que choisissait Moritz (alias Siriusmo, producteur de musique électro et designer des pochettes des albums du groupe, ndlr) pour venir m'arracher mon slip [rires]". Le texte a été chanté sous l'eau, dans un tuba, ce qui entrave malheureusement une partie de la compréhension des paroles. C'est dommage, car on passe ainsi à côté de très beaux moments comme par exemple : "My spirit rises off the plate, in front of me". Justement, parlons-en, de l'assiette que j'ai en face de moi. Si le bain-marie n'a pas rendu leur éclat aux Klopse, il leur a en revanche fait exsuder de petits yeux de graisse qui me fixent d'un air de défi. Ils ne perdent rien pour attendre.

05 Gita est une sorte de sandwich indigeste où 5 pistes de voix sont empilées de manière aléatoire pour faire semblant que les musiciens ont compris les principes de l'harmonie et du contrepoint. Gita, c'est un peu le Boléro de Ravel du hipster. Aux abords du refrain surgit un petit bruit horripilant qui matérialise ma vision de l' enfer : un endroit en deux dimensions, sans perspective, à l'oxygène rare, dans lequel des fenêtres de chat facebook s'ouvrent dans tous les sens avec ce petit bruit insupportable de fenêtre de chat facebook. Pour me calmer, je mange une boulette. Puis une patate. Puis une boulette. Je mords sur une câpre. Incroyable, tout a la même texture, une sorte de compromis entre le liquide et le solide, ça tient sur la fourchette mais ça se désagrège instantanément sur la langue. Comme la chanson que je suis en train d'écouter, qui aguiche en prenant l'air complexe mais éclate d'inconsistance aussitôt qu'on y prête un peu l'oreille (tiens, Morille, voilà un bon point pour ton analogie tirée par les cheveux. Mets fin à cet article, maintenant, merci).

Tantale tendant les bras vers l'arbre à Klopse
06 Clouded (Interlude) Après cette fumisterie, les mecs ont bien compris qu'il nous fallait une pause. Ils nous gratifient donc d'1'32 de vasouillage sans intérêt de l'acabit de ce qu'on te fait écouter chez Yves Rocher quand tu patientes avec ton masque dilatateur de pores en attendant que l'esthéticienne vienne te presser les comédons. C'est immobile et morne comme les yeux d'une tenancière de solarium et le seul mérite de ce morceau est de s'éclipser aussi honteusement qu'il était apparu, en fade out, le beat entre les jambes. Bien fait.

07 Damage Done Il y a autant de pommes de terres que de boulettes (5) et très exactement 10 câpres dans mon plat. Du coup, je mange un Klops, une patate, deux câpres, un Klops, une patate, deux câpres.
Ouf, on voit le bout. Damage Done commence dans une brume à la con, sur laquelle vient se poser la voix toujours désespérément dénuée de charisme de Sascha qui nous raconte mollement des histoires de questions sans réponses et de larmes qui font mal. La pulsation étant quasiment inexistante, je te propose comme moi de tromper l'ennui avec un petit atelier beatbox qui apportera un peu de relief à cette chanson. Un, deux, trois, quatre :


(si tu es super fort, tu peux même taper dans tes mains sur les contretemps) (les contretemps, c'est là où tu dis "ps", "ps", "tate" et "pre")

08 This Time La dernière chanson commence comme Damage Done. Même tonalité, même pulsation. Retour du vent dans les feuilles, quelques cigales. Un bruit récurrent qui ressemble à des coups de pelle. Je m'apprête à écrire une saloperie, quand, soudain, un bourdonnement d'abord imperceptible se met à enfler lentement puis vient éclater dans un refrain vibrant et profond comme un arc-en-ciel très épais. Ca flatte le bas-ventre, c'est parsemé de bribes délicates de claviers, de flûtes, de percussions claires, et surtout, le chanteur a enfin disparu. Il est peu après minuit, les Klopse me pèsent déjà sur l'estomac et This Time a la décence de ne pas en rajouter une couche. Je me laisse doucement bercer par cette jolie musique d'ameublement tandis qu'un papillon de nuit qui s'est perdu dans mon lampion Ikea agonise en frétillant contre le papier.
Fin de l'expérience.


Königsberger Klopse mit Kartoffeln, Keunecke, 2,79€
II, Moderat, 19,99€

20 commentaires:

  1. Je vais essayer un album de Patrick Sebastien en mangeant du cassoulet !

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    1. Excellente idée. N'hésite pas à nous faire part de tes observations.

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  2. Complètement barré ce billet! J'adore! Je n'ai jamais goûté aux Königsberger Klopse de ma vie, et pourtant à la cantine, il y a eu bien des occasions... Mais après le fiasco des Thüringer Klöße, je n'ai jamais trouvé la force de m'attaquer aux Klopse. J'admire ton courage, et ton inconscience d'avoir tenté un plat cuisiné de grandes surfaces, même quand c'est écrit Genießerküche sur l'emballage... Beurk.

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    1. Je pense que ça peut être très bon, les Klopse. J'essayerai d'en faire moi-même cet automne, j'ai trouvé plein de tutoriels vidéo qui me mettent l'eau à la bouche, par exemple celui-ci d'"Oma Luzi" : http://www.myvideo.de/watch/7487309/Wie_koche_ich_Koenigsberger_Klopse

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    2. Cet automne? Tu as l'habitude de planifier des repas plusieurs saisons à l'avance? Remarque, c'est pas con.
      ;-)

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  3. Curieusement, ça m'a donné envie de goûter :(

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    1. Ouais mais toi t'es un grand malade (rassure-moi, ça ne t'a pas donné envie d'écouter l'album?).

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  4. c'est malin, je reste sans voix

    mais je n'ai envie ni d'écouter cet album, ni de manger ce plat.
    donc mission accomplie, je crois ?
    bravo Morille !

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  5. accessoirement et plus sérieusement, peut-on (peux-tu ?) s'y connaitre autant en musique et apprécier la "musique populaire" ?

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    1. D'abord, merci pour le compliment. Mission accomplie, en effet. Ensuite, je réponds oui et trois fois oui à ta question, mais c'est un sujet qui mériterait d'être développé toute une soirée autour d'un certain nombre de bières.

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    2. rendez-vous est pris : j'amène les bières !

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    3. Ca c'est du date rondement fixé!

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    4. Tu te joindras à nous? (mais jusqu'où ira-t-elle??)

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  6. Hello jeune écrivaine,
    Saurais-tu me dire les paroles du refrain de Damage Done ? (I've seen the damage, I've done it before, ********** ?)
    Thank you, and I like the way you write !

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    1. C'est une excellente question, je te remercie de me la poser, mais je crains de ne pas pouvoir y répondre, entre autres parce que je ne suis pas parfaitement anglophone, parce que Sascha Ring a une diction dégueulasse et parce que les textes n'ont ni queue ni tête. Moi j'entends : I see the damage I've done, ripped the top from my high. Donc : je vois les dégâts que j'ai commis, j'ai arraché le sommet de mon point culminant.

      LOL

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  7. J'ai la chance d'avoir une petite amie allemande qui me concocte parfois des petits plats, dont les fameux Königsberger Klopse. Cela m'évite ainsi des actes insensés, comme acheter des barquettes industriels afin de découvrir la culture culinaire allemande. Ce mets reste pas du tout gesund (les seuls légumes étant effectivement des câpres et, voire, des oignons broyés dans les boulettes, je sais pas si ça compte)), mais c'est du bon gras maison préparé avec amour.
    Néanmoins, que va-t-on devenir si même les musiciens allemands se mettent eux-même à faire de la musique de supermarché ne donnant même plus envie d'aller se réchauffer en club pour tenir l'hiver ?

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  8. Des bons Klopse pleins d'oignons et d'amour, ça vaut toutes les soirées en club du monde, non ?

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    1. C'est vrai ; je n'aurai à présent plus aucun mal à accepter le réconfort procuré par la chaleur d'un petit plat exotique (Klopse ou, plus communément, döner, spécialité culinaire pas moins berlinoise), suite à une déception vécue sur le dancefloor.
      Merci pour cet article.

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  9. Perso, j'adore cet album, ainsi que Apparat. Je trouve la critique un peu rapide, malgrè un style décalé culinairement.

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