samedi 5 octobre 2013

Comment César Luis Menotti a sauvé ce blog

Ces derniers temps, je rêve souvent que je rate des trains, des avions ou des soucoupes. Je pourrais aller voir un psy pour qu'il m'explique que c'est juste l'expression de mon angoisse de passer à côté de quelque chose, et qu'au lieu de courir après toutes ces choses, je ferais bien d'apprendre à me concentrer, à faire des choix et à accepter qu'on ne peut pas tout faire dans la vie. Et que se disperser, si c'est d'abord grisant, ça n'apporte que des petites satisfactions ponctuelles mais ça ne rend pas durablement heureux. Mais comme je ne vais pas voir de psy parce que j'ai grandi dans un petit village où ce genre de choses ne se font pas (on y est aussi persuadé qu'on ne revient jamais d'un hôpital, et que la maison de retraite est la pire chose qui puisse arriver à un vieux), je me démerde avec les moyens du bord, je cherche des solutions et il me vient des idées saugrenues, comme supprimer ce blog qui ne fait que me renvoyer au visage mon inconstance et la somme de mes médiocrités. A ce moment-là de ma réflexion, quand j'en arrive à me dire que tout ce que je fais est médiocre, je réalise que je suis à la fin de mon cycle menstruel, que j'ai toujours tendance à faire n'importe quoi dans cette période, et je me donne une paire de gifles. Après, ça va mieux. Alors je me dis que finalement, je vais encore attendre un peu pour supprimer ce blog, et je me souviens que je suis quand même chez moi ici, que j'y fais ce que je veux, et que là j'ai très envie d'y publier cette interview de César Luis Menotti que j'ai lue dans un vieux numéro du magazine de la Süddeutsche Zeitung, parce que le personnage m'était hautement sympathique. Voilà donc cette interview, les propos de César ont été recueillis par Peter Burghardt, c'était dans le numéro 25 daté du 21 juin 2013, c'est moi qui ai traduit avec les moyens du bord, et si vous n'en avez rien à cogner du foot c'est pareil, moi je trouve que c'est une belle interview.




Le bureau de l'ancien entraîneur César Luis Menotti se trouve depuis des années en plein centre de Buenos Aires. Pep Guardiola, le futur entraîneur du Bayern, le cite parmi ses grands modèles – il fallait donc absolument que nous nous entretenions avec Menotti avant les débuts de Guardiola à Munich. Les coups de fil et les e-mails s'égarent d'abord dans le vide, chose habituelle avec Menotti, un premier rendez-vous tombe à l'eau à cause d'un orage. Puis, enfin, il nous reçoit sans chichis dans un appartement un peu sinistre. Chemise grande ouverte, tignasse grise. Très mince. El flaco, le maigre. Sur son bureau, il y a une photo de Che Guevara, qui comme Menotti et Lionel Messi est originaire de Rosário. Aux murs, des photos avec Diego Maradona, Alfredo Di Stéfano, Johan Cruyff et autres mythes du football, ainsi qu'avec l'écrivain Jorge Luis Borges. D'antiques coupures de journaux sont empilées sur une vieille étagère. Menotti va sur ses 75 ans. Etrangement, le cendrier de ce fumeur légendaire est vide.

SZ-Magazin : Vous ne fumez plus ?
César Menotti : J'ai arrêté il y a deux ans, le 3 mai. De temps en temps, je fume un cigare, quand je fais la fête ou que je suis en bonne compagnie, mais jamais de cigarettes.

Ça a été très dur ?
J'imaginais que ça le serait encore plus. C'est mental, tout ça. Le plus dur, c'est quand tu te retrouves seul, là, tu as envie de fumer. Mais arrêter, ça change vraiment la vie. Maintenant, je nage trois, quatre longueurs d'affilée dans la piscine de ma finca, alors qu'avant il en suffisait d'une pour m'achever.

Et votre addiction au football n'a pas diminué, bien que vous n'entraîniez plus d'équipe depuis longtemps ?
J'écris beaucoup et j'étudie de plus en plus le foot. J'adore débattre là-dessus, c'est un jeu si fascinant, si complexe. Quand j'entends certaines personnes, j'ai parfois l'impression qu'on ne parle pas du même jeu. Un jour, j'ai dit à un joueur qui s'obstinait à toujours garder la balle : Tu sais ce que c'est, le seul truc qu'on emporte partout avec soi au foot ? Ton sac, avec tes vêtements, ton rasoir et ton shampooing, ça c'est ce que tu dois garder avec toi. Le ballon, tu dois le passer.

Vous parlez du "foot de gauche" pour un style romantique, offensif, avec des passes courtes, élégantes et rapides, et d'un "foot de droite" qui se caractérise par un style odieux, défensif, requérant beaucoup de contacts physiques. Dans le foot de gauche, vous êtes toujours une référence.
Je vois souvent des matches incroyablement laids... Beaucoup de gens se sentent représentés par ce que je fais. A Rosario déjà, nous avions des joueurs formidables et un jeu grandiose, Messi aussi vient de là-bas. Souvent, pour rire, je dis que je ne sais pas si le FC Barcelone d'aujourd'hui gagnerait contre mon FC Barcelone d'autrefois. A l'époque, il n'y avait pas dix étrangers, seulement deux. J'avais Diego Maradona et Bernd Schuster, mais tous les deux ont été longtemps blessés.

L'entraîneur du Bayern, Pep Guardiola, vous adule. Il est arrivé en 1984, à 13 ans, dans la relève du Barça, quand vous étiez encore entraîneur là-bas. Bien plus tard, il vous rendit visite à Buenos Aires. Comment se sent-on en tant que mentor d'un jeune entraîneur prodige ?
Guardiola fait partie de la même espèce que moi, c'est sa vocation. Quand il a décidé en 2007 de devenir entraîneur, il est venu en Argentine et m'a téléphoné. Nous sommes allés manger ensemble et avons passé la nuit, de 21h à 3h du matin, dans ce restaurant. C'était avant qu'il ne reprenne l'équipe-réserve du FC Barcelone. J'ai beaucoup de sympathie et de respect pour lui, il est à la fois spécialiste et avide de savoir. Il savait exactement ce qu'il voulait.

Et malgré ça, il avait besoin de conseils ?
Il voulait étendre ses connaissances. C'est comme quand tu sais comment doit sonner un violon mais que tu demandes quand même l'avis d'un professeur de violon. Il est allé partout avec cette idée en tête. Il a rencontré des gens comme Marcelo Bielsa, Arrigo Sacchi et moi pour consolider ses idées. Quand il a débuté, il était déjà très bien préparé.

Entre temps, Pep Guardiola est considéré comme un magicien, parce qu'il a tout gagné avec le FC Barcelone. Après ça, il a pris un congé sabbatique, emménagé avec sa famille à Manhattan, il est allé manger avec Woody Allen, puis a signé au FC Bayern. Qu'est-il au juste, comme genre de personne ?
Un entraîneur formidable, intelligent, qui aime le foot, mais pas uniquement le foot. Hippocrate disait à peu près : Celui qui ne connaît que la médecine ne connaît rien à la médecine, et celui qui ne comprend que le foot n'a rien compris à rien, et surtout pas au foot. Ce garçon est cultivé, il aime le théâtre. Et il a une très bonne oreille. Le foot a besoin de bonnes oreilles.

Des oreilles ?
Quand tu es entraîneur, le foot sonne dans ta tête. Soit il sonne comme un troupeau de chevaux sauvages, soit comme un orchestre symphonique, avec des violons comme Iniesta et un violoncelle comme Busquets. Une équipe de foot est comme un orchestre, la somme de nombreuses répétitions et de l'engagement des musiciens.

Guardiola avait quelques uns des meilleurs joueurs du monde au FC Barcelone, entre autres votre compatriote Lionel Messi. Peut-on commettre des erreurs avec de tels personnages ?
J'ai écrit un jour que Guardiola aurait dû recevoir le ballon d'or du meilleur footballeur en tant qu'entraîneur. Il m'a répondu en ne faisant que l'éloge de ses joueurs. Il est tellement modeste, j'aurais pu lui passer un savon. Je crois que Pep a rendu ces formidables joueurs encore plus formidables.

Comment arrive-t-on à ce résultat ?
Il a une idée du son que doit avoir son orchestre. Quand le seul objectif d'un entraîneur est de gagner, les choses deviennent difficiles. C'est pour cela que tout sonnait si bien chez lui. En outre, il a mis dans la tête de ses joueurs quelque chose que d'autres équipes n'ont pas : de l'ordre peut naître la liberté, et donc l'aventure.

Comme chez Jorge Luis Borges, qui écrivait que la littérature, c'est de l'aventure et de l'ordre ?
Exactement, mais il faut toujours revenir à l'ordre après l'aventure. Celui qui ne respectait pas ça, Guardiola le faisait remplacer.

Cet état d'esprit est-il tellement rare ?
Il y a très peu d'entraîneurs au monde qui ouvrent la porte du vestiaire, disent "Bonjour messieurs", et les joueurs savent immédiatement comment ils doivent jouer. Aujourd'hui encore, je peux aller chez un gamin de 15 ans et il saura ce que je veux. Qu'il ne doit pas courir 20 mètres avec la balle mais la passer d'abord et courir ensuite, ce genre de choses. Je n'ai plus besoin de dire ça. Combien sommes nous, à pouvoir faire ça ?

En dehors de Guardiola, il y a aussi d'autres jeunes entraîneurs comme Jürgen Klopp à Borussia Dortmund qui ne font pas ça trop mal, non ?
Par exemple. Mais Dortmund n'arrive pas à tenir le coup dans les matches importants. Ils jouent en smoking, mais quand il n'y a plus que 15mn de jeu et que la fête commence à devenir épuisante, ils ôtent leurs beaux costumes, enfilent des salopettes, et c'est là qu'ils jouent le plus mal. Comme contre le Real Madrid et le Bayern München. C'est pour ça que les Bavarois ont gagné contre eux. Il faut beaucoup de conviction, de la clarté et du caractère. N'importe qui peut gagner un championnat, la Coupe d'Europe a déjà été remportée par beaucoup d'imbéciles et d'ignorants. Mais remporter, en cinq and, 15 titres sur 19 comme Guardiola, et à la fois faire remplacer des joueurs qui ont totalisé 50 buts, un type comme ça, c'est rare. Pour moi, le travail de Guardiola est brillant, je dirais même unique.

Est-ce que Pep Guardiola n'arrive pas trop tard ? Le Bayern vient de rafler tous les titres sous la houlette du très sage Jupp Heynckes. En mai, Guardiola était de retour à Buenos Aires pour une conférence, vous avez à nouveau mangé ensemble. Etait-il nerveux ?
Oui, il se fait du souci. Pour la première fois depuis l'invention du football, un entraîneur qui a gagné la Ligue des Champions, le Championnat, la Coupe et la Supercoupe, s'en va. Où a-t-on déjà vu pareille chose ? José Mourinho a quitté le Real Madrid parce qu'il n'avait rien gagné. Le Bayern a tout gagné. Mais je pense vraiment qu'engager Guardiola est une belle idée.

Malgré les succès de ses prédécesseurs ?
Même le Bayern a besoin d'un coup de peinture. Ce genre d'équipe ne se contente pas de gagner un Championnat et une Ligue des Champions, ils veulent être les protagonistes à chaque fois. Je crois que les projets de Guardiola sont très bons même si ça ne sera pas forcément facile dans la famille du Bayern, avec Rummenigge, que je connais bien, Beckenbauer, etc. Pep se réjouit de la tâche, et la ville lui plaît aussi. Il parle bien anglais et italien, l'allemand ne devrait pas lui poser de problème. Je crois qu'il en fait un peu trop avec sa nervosité, il n'aura aucun mal à se faire comprendre. Je trouve qu'il est très allemand pour un catalan, ordonné, sérieux. Il travaille beaucoup, il s'entraîne beaucoup. Sa personnalité colle bien à Munich, cette ville est faite pour lui.

Comment est Munich selon vous ?
Les gens s'y saluent courtoisement. Ici, en Argentine, et en Espagne, ils se jettent tout de suite sur toi. A Munich, il pourra se promener dans les rues avec sa femme et ses enfants même après une défaite de l'équipe. J'ai l'impression que certains joueurs du Bayern, intérieurement, jouent déjà pour Pep. Certains qui, avant, avaient l'habitude de garder la balle plus longtemps, qui étaient plutôt individualistes. Pep sera comblé là-bas. Personnellement, j'aime Munich, pour moi c'est une des plus belle villes du monde. Mieux encore que Paris. Depuis 1979, je vais tous les ans à Munich, je suis invité à beaucoup de fêtes. Je ne sais plus quel imbécile de journaliste argentin a dit qu'après 18h, à Munich, tout le monde est au lit. Ce crétin ne connaissait probablement pas les nuits et les femmes munichoises, il devait vivre dans une cave.


Munich et les Bavarois peuvent donc se réjouir de l'arrivée de Pep Guardiola ?
Les joueurs savent déjà ce qu'il veut. En plus, il est très obsessionnel sans pour autant casser les pieds aux gens. Il regarde beaucoup de matches, il connaît ses joueurs, et il veut faire des corrections sans les décharger de leurs responsabilités. L'Argentin Javier Mascherano du FC Barcelone m'a dit que Guardiola voit des choses qui aident énormément sur le terrain. Les joueurs l'estiment beaucoup. Guardiola sait très exactement ce que fait le défenseur gauche au Bayern, quelle est sa pointure de chaussures et s'il dort bien. Il comprend que la seule chose vraie, dans la vie, c'est d'apprendre, inlassablement, jusqu'à la mort.

Ça sonne presque comme un zèle maladif... Comment rend-on encore meilleure une équipe comme le Bayern ?
Il va tâcher de stabiliser la réussite. Mais son but ultime sera d'établir une relation émotionnelle entre les spectateurs et l'équipe. Pour que, même si le Bayern perd, les gens disent : On a perdu, mais qu'est-ce qu'on a bien joué ! Il y a deux chemins : soit tu transformes le terrain en un champ de bataille où galopent les chevaux sauvages, soit tu en fais un atelier dans lequel des artisans fabriquent des œuvres d'art. Ça, c'est Guardiola. Quand tu regarde jouer une des ses équipes, c'est très probable qu'elle te rapproche un peu plus du Beau.

Maintenant, le foot allemand est plutôt joli à regarder, non ?
Je n'ai jamais compris pourquoi tout le monde ne parlait que de la force et de la discipline des Allemands, ça m'a toujours exaspéré au plus haut point. Il y avait Overath, Beckenbauer, etc (note à ceux qui comme moi ne connaissent rien au foot : des joueurs à la technique très raffinée), ils jouaient bien mais n'avaient pas toujours le bon entraîneur. S'il y a quelqu'un qui comprend la philosophie, la littérature, la créativité et l'art, ce sont bien les Allemands, et ce malgré les guerres. Les Allemands sont des gens amusants, ils picolent jusqu'à 6h du matin et sont de nouveau sur pieds à 8h. Les Allemands construisent de belles voitures. Et maintenant, ils jouent aussi un beau football. Vous avez un pays formidable. A Munich, les femmes font du vélo avec leurs enfants à l'arrière, il n'y a pas cette cacophonie incessante de klaxons toute la journée comme ici. Guardiola y sera très heureux.

Quelle influence a un entraîneur ?
Quelle influence a un professeur de maths ? Un mauvais professeur fait de votre vie un enfer, c'est pour cela que je détestais les mathématiques. Un grand entraîneur avec de grands joueurs peut faire une grande équipe. Un grand chef d'orchestre avec de grands musiciens peut faire un grand orchestre. Un mauvais entraîneur ne parviendra qu'à des résultats médiocres, même s'il choisit les meilleurs violons. Et tu dois réussir à te faire accepter non seulement pour tes compétences mais aussi comme une personne loyale. Le football requiert beaucoup de don de soi.

Est-ce Guardiola qui a fait de Messi le meilleur attaquant du monde ?
Guardiola a dirigé Messi et, de temps en temps, l'a aussi laissé à l'écart, il ne l'a pas cantonné à une fonction et n'en a jamais fait un Sauveur. En Argentine, ils envoient Messi à n'importe quel match amical parce que la partie vaut alors un million de dollars. C'est une honte.

Lors de sa récente apparition à Buenos Aires, Guardiola a été présenté comme une espèce de gourou. N'est-ce pas un peu exagéré ?
Pep a montré à Barcelone que même en cas de tempête, il gardait le contrôle de son bateau de telle sorte que les gens dans les cabines ne se rendent compte de rien. Mais ça n'a rien à voir avec de la magie. Il s'agit là d'un jeune homme qui fait face à un grand défi dans un grand club. C'est un face à face de deux grands champions.

L'Espagne et l'Allemagne vous ont-elles à nouveau réconcilié avec le football ?
Moi et beaucoup d'autres aussi. On regardera encore plus la Bundesliga avec Guardiola que la ligue espagnole. Aujourd'hui, je vais dans mon restaurant et les gens me demandent si j'ai vu le super match des Allemands. Tout le monde parle de l'Allemagne. Je crois que ça a beaucoup à voir avec la Coupe du Monde de 2006, avec Klinsmann, qui était autrefois mon attaquant à Gênes, et avec ce jeune qui s'occupe de tout ça maintenant...

Joachim Löw ?
Oui, lui. D'un coup, les Allemands ont ressorti des drapeaux, je n'avais encore jamais vu autant de drapeaux dans un stade allemand. Ici c'est normal, mais en Allemagne ? Klinsmann les a fait jouer autrement, il a répandu un autre message. Il y a eu une profonde métamorphose. Je crois que le Bayern et Borussia Dortmund font pencher la balance vers l'Allemagne au détriment de l'Espagne, et cela va s'accentuer encore avec l'arrivée de Guardiola. C'est contagieux. Il y a beaucoup de joueurs excellents. Ce garçon que le Bayern a acheté...

...Mario Götze ?
Oui, quel âge a-t-il ? 21 ans ? Et ne veulent-ils pas encore acquérir cet avant-centre de Dortmund ?

Le Bayern achète Götze à Dortmund pour 37 millions d'euros, Barcelone paye 57 millions d'euros pour Neymar. Que dit de ces sommes quelqu'un comme vous, qui se qualifie de "marxiste hormonal" ?
L'expression provient de l'écrivain José Saramago, mais je me sens comme ça aussi. Je ressens un certain dégoût du capitalisme. Je crois qu'il ne devrait pas y avoir de monde aussi fondamentalement injuste. Mais bon, nous vivons tous du football. A l'intérieur de ce système, nous nous devons de respecter le patrimoine culturel que représente le football en tant que jeu. Aujourd'hui, le foot appartient au Big Business, et si quelqu'un décide que le match sera joué à 3h du matin ou en Afrique, le match sera joué à 3h du matin ou en Afrique. L'Argentine et le Brésil n'ont plus de culture du football. Autrefois c'était comme ça en Europe, maintenant c'est l'inverse.

Quel rôle joue la télévision ? Chaque match y est retransmis, si minable soit-il...
Il faut avoir le regard très affûté et un grand savoir pour comprendre le football à la télévision. Il faut voir où se tiennent les autres joueurs, si les défenseurs réduisent les espaces, si des espaces sont créés à d'autres endroits, s'il est judicieux de garder la balle en sa possession. A la télé, tu ne vois presque rien. La caméra suit la balle, mais quand c'est Messi qui l'a, tu ne sais pas où est Piqué.

Vous êtes devenu champion du monde en 1978 sous une dictature sanglante. Regrettez-vous cela aujourd'hui ?
Non. Il n'y a rien de plus grandiose que de gagner une Coupe du Monde à domicile. Et pensez-vous que le dictateur Jorge Videla ait inventé la dictature ? Il n'était qu'un chien sanguinaire parmi d'autres, pas le propriétaire des chiens. C'était quelque chose de plus profondément ancré, qui s'était mis à germer bien avant, là-derrière il y avait l'industrie, le capitalisme sauvage, les monopoles. Moi, comme j'étais un gars de gauche, la junte militaire voulait d'abord me foutre dehors. Et la Coupe du Monde n'a pas beaucoup servi aux généraux, ils se sont plutôt tiré une balle dans le pied. Nous avons fait descendre 20 millions de personnes dans les rues, malgré la peur et le couvre-feu, malgré l'interdiction des rassemblements de plus de trois personnes. Il n'y a que le football qui puisse faire ça.

De nos jours, le football est censé tout expliquer dans la vie. Camus a dit...
que tout ce qu'il sait de la vie, il l'a appris sur un terrain de foot. Parce que le foot est une guerre des mots. On n'a le droit de se servir ni des bras ni des mains, il suffit d'une tentative de gifle pour écoper d'une sanction. Cela dépend bien évidemment de l'arbitre, comme dans les autres situations de la vie, mais les règles sont claires. Le joueur et l'arbitre ont tout en main pour ne pas faire du terrain un champ de bataille. Et il ne faut pas oublier : le terrain est grand, 7000 mètres carrés. Si tu divises ça par 10 joueurs, chacun doit s'occuper de 700 mètres carrés, ce n'est pas évident.

Le football est-il toujours ce qui se fait de mieux en matière de jeu ?
Le football est un jeu merveilleux et extrêmement sage. Le secret du foot, c'est le temps, l'espace et l'illusion. Comme dans la vie. Gérer le temps, trouver de l'espace et maîtriser l'illusion.

13 commentaires:

  1. Une bien belle traduction et un bien beau témoignage, à ceci près qu'il me semble étrange qu'Hippocrate ait dit que "celui qui ne comprend que le foot n'a rien compris à rien, et surtout pas au foot".

    Merci d'avoir pris le temps de traduire tout cela. Ca a dû te prendre de nombreuses heures.

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    1. Merci Gonzague, je suis contente que ça ne plaise pas qu'à moi ! J'y ai passé deux petites heures, c'est vraiment pas une langue très compliquée.

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  2. haaaa, je n'ai pas réussi, je n'ai pas pu tout lire.
    d'où me vient cette question :
    "celui qui n'a rien compris au foot n'a rien compris à rien ?"


    (mais j'avoue, belles analogie avec la musique, l'orchestre, etc...)

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    1. C'est pas grave, Fred, je te mets quand même un point pour ta bonne volonté.

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  3. Je n'ai pas pu aller plus loin que la fin de son addiction à la cigarette et encore en sautant l'introduction de présentation. Assurément la chose la plus passionnante que je n'ai pas lu sur ce blog.
    Alors je me demande, ne serait ce pas là un appel du pied (!) à tous les footeux et en particulier ceux ou celui qui te sont ou te furent proche ?

    J'espère que tu vas bien sinon, bise.

    Franck

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  4. Tin j'avais loupé plein de trucs.

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  5. Réponses
    1. Mais de rien, tout le plaisir était pour moi :-)

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  6. Merci pour cette traduction, César Luis Menotti reste vraiment quelqu'un unique....

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    1. Mais de rien, de rien ! Je ne connais rien au foot mais c'est vrai que c'est une putain de belle interview.

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  7. (Tiens donc, on peut poster des commentaires anonymes?)
    C'est quand même incroyable que, quand comme moi, on est Ménottiste et non-hispanophone, on trouve le meilleur article (?) sur le maitre au détour d'un blog, certes très sympathique, mais qui n'a rien a voir du tout avec le football.

    Il me semble moins étrange qu'Hippocrate ait dit que "celui qui ne comprend que la médecine n'a rien compris a la médecine".

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