vendredi 1 novembre 2013

L'automne à Berlin - jour 1

Pardon mon lapereau, je te délaisse un peu en ce moment. Et je te préviens, ça ne va pas aller en s'améliorant puisque j'ai entamé un semestre qui sera plein d'examens pète-couilles (oui, je sais, à mon âge il y en a qui écrivent leur thèse ou qui achètent un appartement. Moi, j'entame ma dernière année d'études dans un diplôme qui n'existe plus et qui se situe quelque part entre la licence et le master. Note : j'ai passé mon bac en 2005. Oui, oui oui, la la laaa). Ces prochains temps, il y a donc de très fortes chances pour que j'aie plein de sautes d'humeur, je risque de beaucoup me plaindre, et si je rentre un peu trop tard le soir ou que j'oublie de te donner de mes nouvelles il ne faudra pas m'en vouloir. Je pense qu'on s'aime assez pour survivre à ça, et puis tu sais, il faut qu'on voie ça comme une sorte de test. Si on arrive à traverser ces quelques mois houleux sans trop de dommages, ça ne voudra pas forcément dire qu'on est faits l'un pour l'autre, je ne crois pas trop à ça et je sais que toi non plus, mais je pense qu'on sera un peu plus forts, on aura pris pas mal de plomb dans la cervelle et on s'aimera différemment. Et ça, j'aimerais vraiment voir à quoi ça ressemblera. Alors j'espère qu'en mars, quand je referai surface, tu seras toujours là.

(non mais t'inquiète, je vais pas mettre le blog en hibernation complète, je vais juste pas être très assidue, quoi)

Si tu veux, on fait une expérience : je vais voir comment ça serait de te raconter tous les jours une petite histoire véritable, pendant une semaine. Comme j'ai beaucoup de boulot, ça sera griffonné dans les transports ou entre deux cours, ça sera pas retravaillé et pas prise de tête. J'y consacrerai 20 minutes maximum. Tope-là ?

***

Je m'engouffre dans le métro, poussée par la foule. Nous nous entassons tant bien que mal dans la rame jaune. L'éclairage agresse mes yeux encore ensommeillés, j'enfonce la tête dans le col en mouton de ma canadienne trop grande. Soudain, j'entends derrière moi des bruits de cheval. Je me retourne et avise un petit homme, il mesure environ deux têtes de moins que moi, qui piaffe dans mon sac à dos. Ses cheveux gris lui collent au crâne, ils sont fins et brillants comme des fils de la Vierge. Il porte un pantalon gris en toile rêche, beaucoup trop large pour ses maigres guiboles mais très soigneusement repassé. Il l'a retroussé jusqu'aux genoux, dévoilant à notre vue ses petits tibias empaquetés dans plusieurs paires d'immenses chaussettes de sport blanches. Son visage est plat et épaté vers le bas, tous ses traits dégringolent vers un menton minuscule qui pointe vers le bout de son nez de musaraigne. Il a le profil d'un croissant de lune famélique qui aurait été défoncé par des tirs d'obus. Je ne vois pas exactement ce qu'il fait dans mon dos, mais à en juger par les bruits que j'entends, il est en train de se moucher dans mon sac. Deux immenses Turcs rasés au laser se marrent en nous montrant du doigt, les autres passagers nous observent du coin de l'oeil en souriant, mais nous sommes tous tellement à l'étroit que je ne peux rien entreprendre contre le nain qui est en train de souiller mes partitions de Schumann et de Messiaen.
A l'arrêt suivant, il se précipite hors de la rame, court sur le quai jusqu'à la poubelle la plus proche, y plonge son bras jusqu'à l'épaule, farfouille quelques instants puis extirpe des déchets, avec un long brâme victorieux, un vieux gobelet de café qu'il lape avidement en renversant la tête en arrière.
Voilà comment a commencé ma journée.

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