mercredi 6 novembre 2013

L'automne à Berlin - jour 6

Lundi soir, un sale petit crachin dégueulasse tombait sur la ville, celui qui te rentre sous la capuche et te fait froid partout quelle que soit la somme des gilets que tu empiles, accompagné de sa meilleure pote la brise chafouine qui fait en sorte que l'humidité pénètre bien profond tes poumons pour te coller la phtisie (oui oui, dans mon village on dit que la phtisie s'attrape par les courants d'air humide). Ajoutons à cela que la nuit était tombée à 16h30, que j'avais été assommée toute la matinée par un atroce mal de ventre (voir épisode 4) et que j'avais fait une très-contrariante tache de soupe de potiron sur mon slim bleu ciel, j'étais donc dans les meilleures dispositions pour aller au concert d'Albrecht Mayer et des King's Singers au Gretchen le soir même. Mon ami Oussama m'avait agité sous le nez les billets en me promettant qu'on allait bien s'amuser "parce que c'est un club", et, pauvre étudiante que je suis, je n'ai évidemment pas su résister aux sirènes de la gratuité.

En route donc pour le Gretchen, une boîte de Kreuzberg dont j'avais à de maintes reprises vu fleurir le nom sur des affiches et des flyers, et où je n'avais encore jamais mis les pieds (rappel : je ne vais danser que dans des caves). La soirée était organisée par Universal/Deutsche Grammophon dans la série Yellow Lounge dont l'étrange credo est de faire entrer la musique classique dans les boîtes de nuit. La guestlist est longue comme le bras, c'est à se demander s'il y a quelqu'un dans la salle qui a effectivement déboursé 6€ pour cette blague. Le public est, selon moi, constitué d'amateurs de compils de musique d'ameublement qui écoutent du classique comme ils font du yoga et viennent là pour passer un afterwork trankil (et les King's Singers, c'est trankil comme musique, rappel), d'amateurs de classique qui méprisent la soupe des King's Singers mais viennent pour se montrer dans un club (=décontraction) et faire des rencontres, et de gens qui n'ont jamais entendu parler ni des King's Singers ni d'Albrecht Mayer et qui ont cru que c'étaient des DJs parce que le programme n'était pas traduit en anglais et que l'affiche avait l'air ironique.
Un DJ mixe des morceaux classiques en faisant des enchaînements à la truelle entre des trucs qui n'ont rien à voir les uns avec les autres, le son est exécrable, ça grésille et la moindre intervention de cuivres détruit instantanément 45 cellules ciliées dans chacune des tes oreilles. Oussama tente de m'apaiser avec une bière et veut me persuader que cette série de concerts est une belle initiative, que ça fait découvrir la musique classique à un public qui n'y aurait pas accès, mais je reste butée, confortée dans ma position par l'observation des visages mous qui m'entourent. Vers 22h30, les chanteurs arrivent sur scène, suivis de près par un aveuglant costume blanc en satin dont émerge la tête joviale d'un Albrecht Mayer qui va probablement ramasser un maximum de blé pour cet album de Noël rempli des plus infâmes kitscheries. Je préfère imaginer qu'Albrecht, l'oboïste solo du Philharmonique de Berlin, fait la pute en jouant Greensleeves avec un ensemble vocal poussiéreux pour finir de payer sa maison de campagne plutôt que d'accepter qu'il puisse trouver une quelconque satisfaction musicale à cette triste collaboration.
L'atmosphère est tellement douillette que j'ai des pensées morbides, les réactions enthousiastes du public ne font qu'augmenter mon exaspération et je sombre définitivement dans le cynisme avec Let it snow, dont l'arrangement est savamment ponctué de petites blagounettes harmoniques, de clins d’œils et d'un grand numéro d'humour où Albrecht entame un solo interminable tandis que les chanteurs miment l'impatience avec force soupirs et yeux levés au ciel. C'est la goutte de sirop qui fait déborder le vase, je rentre me coucher.
Albrecht Mayer & The King's Singers, un album de Noël qui sent le sapin.

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