samedi 14 décembre 2013

Lamento pour un adjectif éculé

Je suis contrariée. J'ai perdu l'usage d'un de mes mots préférés, à cause d'une inflation malheureuse dont il a été victime ces derniers mois. Je parle de l'adjectif nauséabond. Forcément, comme je vis en Allemagne, je ne pratique pas souvent ma langue maternelle et j'ai donc peu d'occasions d'utiliser ce mot exquis dont les sonorités m'évoquent le nez bouché par de la morve grasse (probablement la parenté sonore de nausé et nasal), l'odeur âcre du caoutchouc brûlé (la similitude des diphtongues éa et aou peut-être?), les effluves de viande en décomposition qui ont accompagné mon adolescence, quand je passais à côté des abattoirs de Sarreguemines pour aller au lycée (abond/abats?). Et voilà que mon bel adjectif et tout le nuage d'associations qu'il transporte avec lui ont soudain connu un regain d'intérêt coïncidant à peu près avec la remontée des extrêmes droites en Europe et leur médiatisation. Il a fallu trouver des mots assez forts pour qualifier le mal, quelqu'un a eu la bonne idée (et dieu sait qu'elle était bonne!) de piocher dans le champ lexical de la puanteur, et c'est nauséabond qui a fait les frais de ce besoin de renouvellement des qualificatifs de l'horreur. Des mois durant, je l'ai donc vu ballotté d'article en dépêche, perdant graduellement son pouvoir percussif, j'ai vu se déliter les images qu'il transportait avec lui, et l'inévitable est arrivé : il est devenu creux comme la boîte crânienne d'un Ch'ti à Las Vegas, il ne résonne plus, il n'émeut plus, bref, il est devenu cliché. Son usage commence enfin à décliner, il a atteint sa fin de vie médiatique et, preuve ultime de son accession au statut de cliché, il a fait son apparition dans les chroniques plus ou moins réussies des fonctionnaires de l'humour qui pullulent dans les émissions de divertissement informatif et aiment à croire que pointer les tics de langage de leurs collègues journalistes fait d'eux des exégètes. Même Gaspard Proust, qui n'est pourtant pas le quart d'un con et avec qui je ne serais pas contre de faire des trucs impliquant de frotter nos gamètes les unes contre les autres, s'y est mis dans sa dernière chronique (1:58).
Il ne me reste plus qu'à faire le deuil de mon mot préféré en me disant qu'après tout, ces salauds de journalistes n'ont pas encore mis la main sur pestilentiel, et à me recroqueviller sur mon harem lexical qui contient encore, entre autres, miasme, grog, tubéreuse, cloaque, volute et tout un tas d'autres mots qui n'intéressent personne et dont je peux continuer de jouir tranquillement.
D'ailleurs, y a-t-il d'autres adeptes de la masturbation verbale dans la salle ? Dites-moi vos mots préférés, ça m'intéresse (et puis comme ça on peut s'échanger nos jouets hihi) !

petitindexgaspard

23 commentaires:

  1. Le fameux Yann Barthès parlant d'"intrusion visuelle nauséabonde" (en parlant du geste de la quenelle) était particulièrement loin d'imaginer les retombées derrière... Canal+ prend très cher en ce moment, et c'est tant mieux !

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    1. Aaah oui il me fait penser à un autre de mes chéris : sornette !

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  3. Moi j'aime bien "picrate", "gonades" et "salamalecs", entre autres.

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  4. superflu > superfluité haha
    bégueule
    oiseux

    audace
    flegme
    allure

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    1. audace ? vraiment ? je ne comprends pas. il est chiant à mourir ce mot. il sonne comme fadasse. allez, si tu veux je te l'échange contre esperluette, dont je me suis un peu lassée ces derniers temps, mais qui mettra du piment dans ta collection.

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    2. "Audace", c’est pas terrible comme mot, je suis bien d’accord. Mais ce terme affreusement banal a la rare particularité de réussir une rime léonine avec "chaudasse", "godasse" et "galvaudasse" (et tous les imparfaits du subjonctif similaires, mais passablement incommodes, genre "rôdasse", "décodasse", "échafaudasse", etc), ce qui en fait un outil très précieux pour le rimailleur du dimanche.

      Et ça tombe bien, car "léonine" est un de mes mots préférés. Avec, un peu en vrac, "derechef", "ourdir", "hanneton" et "cuistre". En fait, j’aime bien le vocabulaire de base d’Achille Talon :-)

      Dans le registre de la pestilence, j’aime bien "remugle". Nauséabond, ça fait bien longtemps que j’ai fait une croix dessus.

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    3. Oh, Berly, je ne connaissais pas "léonine", je suis enchantée de cette découverte !!
      J'ai usé remugle jusqu'à la corde quand j'étais au lycée, mais j'en garde des souvenirs pleins de tendresse.

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  5. scrogneugneu, victuailles, pamoison, saperlipopette, et esperluette, j'adopte!

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  6. Entourloupette, gourgandine, incongru.

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    1. Ah t'aimes bien les juxtapositions de consonnes qui contiennent un R toi ! J'ai aussi eu une phase comme ça juste après mon bac.

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  7. Dans le registre des odeurs, il y a toujours "méphitique" qui fait son petit effet. Je l'avais rencontré pour la première fois chez Lautréamont, je m'en souvient encore.

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    1. Ah grâce à toi je viens d'apprendre la signification de ce mot. Pour moi il sonne comme une période géologique, j'aurais jamais fait le rapprochement avec les odeurs. Merci Sainte Pop !

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  8. Le gaize, une baïonette, un pachiderme, un tapuscrit. Vouâlâ.

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    1. ah toi et ta gaize ! je suis absolument ravie d'avoir appris ce mot. ce "z" m'intrigue toujours autant.

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