dimanche 16 février 2014

Je n'ai pas aimé Boyhood.

... et pourtant, j'y allais avec un préjugé plutôt favorable. Je n'avais jamais rien vu de Richard Linklater mais le Numéro Un n'avait cessé de me rebattre les oreilles avec Waking Life, un film incroyable, il faut absolument que tu le voies, etc. Mais faut-il faire confiance à quelqu'un qui n'a pas vu Anchorman, qui ne manifeste aucun désir de le voir et n'esquisse même pas un sourire au récit de la scène dans la voiture, de nuit, sur les hauteurs de San Diego, où Ron Burgundy explique à sa nouvelle conquête  l'étymologie du nom de la ville qu'ils ont à leurs pieds ? (RAPPEL)

Deux autres éléments auraient dû m'alerter : d'abord cette vieille femme aux airs de prof de catéchisme, pull bleu ciel en laine rêche, col blanc, cheveux poivre et sel, qui, voyant mon billet sur la table du café où j'attendais le début de la représentation, me dit avec un grand sourire qu'elle me souhaitait "beaucoup de bonheur", qu'elle venait de voir le film et que c'était merveilleux ("wundervoll!"), une histoire "bouleversante d'humanité", qu'on ne voyait pas le temps passer. Et puis, surtout, ce qui aurait dû me mettre sérieusement la puce à l'oreille, c'est que le film commençait sur une chanson de Coldplay. Mais je n'ai pas su lire les augures, et me voilà embarquée pour 164 minutes plus fadasses que le salsifis.

Oui, cent soixante-quatre, tu as bien lu.
Bah, que dire ? L'histoire aurait pu être bien (la vie de Mason, un jeune Texan sensible, de l'école primaire à l'orée de la fac) et les personnages aussi (le garçon taciturne qui veut faire de l'art, la mère célibataire qui passe de mari naze en mari naze, la sœur au fort potentiel de pétasse, le père biologique éternel ado), d'ailleurs pendant les vingt premières minutes tout fonctionne à merveille, les dialogues sont piquants, et le point culminant du film est atteint au bout de 10mn avec une scène où la sœur se comporte en insupportable petite conne à la table du petit-déjeuner. Manque de pot, il reste encore 144mn à tenir, et tous les efforts des dialoguistes qui sèment de la punchline à tour de bras ne parviendront pas à donner du relief à ce film qui, à force de chercher le plus petit dénominateur commun de la vie pour mériter sur la jaquette de son DVD le macaron "Le film d'une génération", finit par ne plus avoir la moindre saveur.
Boyhood, c'est un film dans lequel personne ne meurt, personne ne se blesse et les méchants sont évacués sans anicroche. On s'y aime très fort mais on n'y fait jamais l'amour, ou alors juste un peu, on n'y vexe personne sauf les cibles faciles (Bush), et on n'y fait pas d'excès, enfin juste un peu :
Mason rentre d'une folle soirée arrosée à l'issue de laquelle il a embrassé une fille et tiré sur un joint (OHLALA ! ).
La mère : Did you... (fait le geste de boire) ?
Mason : Yeah... just a little.
La mère : And did you... (fait le geste de fumer) ?
Mason : Yeah... just a little.
La mère : OK, we'll talk tomorrow.
Fin de l'échange.
Et sur une bande-son digne des compils Un maxx de tubes de feu Europe 2, tous les personnages trouvent leur voie vers le bonheur grâce à des adjuvants pleins d'amour, personne ne se casse la gueule et tout finit bien. 
Mais le plus répugnant est sans doute ce procédé hypocrite qui consiste à placer une réplique un peu acerbe dans chaque situation cliché, dans le genre "mais oui, spectateur, moi aussi je vois bien que je suis en plein dans un cliché, mais c'est fait exprès, tiens, regarde, je prends de la distance avec le cliché en y calant une petite blague, tu vois, il faut prendre ça au second degré ! "

 photo petitboyhood_zpscdb88252.jpg
                                          La scène finale

Je ne veux pas pour autant vous déconseiller d'aller voir Boyhood, mais plutôt vous recommander de n'y aller que si vous vous retrouvez dans l'une des situations 
suivantes : 
- vous cherchez un truc positif et rigolo à voir avec votre meilleure amie qui vient de se faire avorter
- vous êtes en couple avec un alcoolique de droite et ne parvenez pas à vous séparer de lui
- il vous arrive d'écouter les ballades de Jack Johnson (RAPPEL) pendant plus de deux heures d'affilée
- vous êtes du genre à aller au cinéma comme au spa, pour détendre vos muscles et dilater vos pores
- vous n'avez pas encore assez entendu Get Lucky

Et je peux même vous dire le truc que je ne savais pas et qui vous conditionnera à trouver ce film super touchant (les dix minutes d'applaudissement et les larmes sur les visages de mes voisins à la fin du film n'ont pu résulter que de ce phénomène de conditionnement, je ne vois pas d'autre explication) : le tournage a duré douze ans, les acteurs vieillissent donc POUR DE VRAI tout au long de l'histoire. C'est LE MÊME ACTEUR qui joue Mason du début à la fin.
Voilà, vous pouvez aller voir Boyhood maintenant.

Non je déconne, ne perdez pas votre temps, revoyez plutôt Superbad ou Mysterious Skin, ou alors La meglio gioventù qui dure deux fois plus longtemps, où les acteurs vieillissent pour de faux mais les personnages évoluent pour de vrai. Parce que finalement c'est ça qui est intéressant, non ?

8 commentaires:

  1. Loin de moi l'idée de critiquer négativement tes écrits toujours aussi plaisants à lire, mais te rends-tu compte (c'est marrant si l’idée me venait de rajouter un "o" au milieu de compte ça ferait "compote", comme une compote LOL) que tu t’adresses exclusivement à la gent féminine dans tes conseils pratiques ? C’est quoi ce sexisme intolérable ? Faut-il donc adhérer aux Femen et posséder en bonne place dans sa bilbiothèque peinte en rose des nouvelles de Caroline Fourest pour trouver grâce à tes yeux et quelque peu profiter des avis que tu prodigues avec une fougue certaine ? C'est scandaleux ! Remboursez !

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    1. Pardon Gonzagus, je rectifie :
      - vous cherchez un truc positif et rigolo à voir avec votre meilleure ami/e qui vient de se faire avorter
      - vous êtes en couple avec un/e alcoolique de droite et ne parvenez pas à vous séparer de lui/d'elle
      - il vous arrive d'écouter les ballades de Jack Johnson (RAPPEL) pendant plus de deux heures d'affilée
      - vous êtes du genre à aller au cinéma comme au spa/sport, pour détendre/dilater vos muscles et dilater/détendre vos pores/votre cerveau
      - vous n'avez pas encore assez entendu Get Lucky

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  2. "Et puis, surtout, ce qui aurait dû me mettre sérieusement la puce à l'oreille, c'est que le film commençait sur une chanson de Coldplay." HAHAHAHAHAHA

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  3. Dommage. J'avais adoré la trilogie Before Sunrise etc. avec Delpy et Hawke.

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    1. Je vais regarder ça. Du coup, je serais curieuse de savoir ce que tu penses de Boyhood.

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  4. J'aime tes conseils de fin. Je suis en train de lire mysterious skins (après avoir vu le film une bonne dizaine de fois) et on essai de me convaincre de voir La meglio gioventù. On è j3nr, trÔ Konècté, koäe

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  5. Mais grave, ça m'avait fait la même chose avec Terminator 2 et Titanic.

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