samedi 1 novembre 2014

FIAC 2014 - Le jour où j'ai failli faire le buzz.

Coucou les cacas - je m'adresse à ceux d'entre vous qui vivent dans un pays où la Toussaint est un jour férié et dont je suppose que vous êtes comme moi en pyjama taché de chocolat, terrés sous votre couette à manger du simili-muesli Leader Price tout ramollo et plein de sucres raffinés alors qu'il est 15h et que le soleil vous nargue comme un gros fils de pute. Vous les nazes, les mous, les flemmards, je vais vous raconter mon lundi de la lose.



Lundi dernier, donc, c'était le démontage de la FIAC au Grand Palais . Le garçon avec qui je partage mon lit, ma machine à laver et, occasionnellement, des dîners à base de pasta (je ne peux pas dire pâtes ou nouilles, non, c'est bien plus noble que ça : ce garçon met des poireaux et des pommes de terre dans l'eau juste pour donner du goût à l'eau) et de vin rouge, m'annonce qu'il va aller prêter main forte à des connaissances de connaissances d'un ami pour décrocher les machins d'une galerie qui exposait à la foire. A 9h, alors que je suis en train de prendre mon petit-déjeuner de bobo à base de lait végétal, de Libé et de vue sur la Tour Eiffel, je reçois un sms :

si tu as un peu de courage, c'est facile d'entrer. tu vas à l'entrée principale et tu dis que tu es là pour démonter. tu vas au desk avec ta carte d'identité, tu inventes un nom de stand et ils te font un pass. personne n'est au courant de quoi que ce soit ici.

 Il y a des moments où ce genre de message déclenche en moi des incendies, comme si toutes mes entrailles étaient tapissées de poix, et je me rue sans trop réfléchir sur l'occasion, attirée par la perspective de faire un truc grisant et rigolo. Là, non. Je venais de me lever, il fallait que je sois au travail à 11h, je m'étais mentalement préparé une petite liste de choses à faire avant de partir (me sécher les cheveux, nettoyer une tache sur mon sweat gris, jouer une mazurka, écrire des mails à des gens, dessiner un policier) et l'idée d'envoyer valdinguer tout ça m'embêtait plus qu'autre chose. Puis j'ai relu le sms. Il s'ouvrait sur "si tu as un peu de courage". Je me suis sentie piquée. Si je n'y vais pas, il va penser que je n'ai pas de courage. Si je n'y vais pas, ça voudra dire que je préfère exécuter des listes de tâches ménagères plutôt que de partir à l'aventure. Mais en fait, là, si je regarde en moi et que je suis honnête, je n'ai vraiment pas envie de partir à l'aventure. Putain, j'ai perdu ma spontanéité. Le travail à horaires réglés est en train de faire de moi quelqu'un de chiant. C'est ça, je suis chiante. Ah, mais si j'allais m'infiltrer au Grand Palais, je pourrais peut-être en faire un article pour le magazine. Je pourrais me balader entre les œuvres d'art et prendre des selfies en faisant mine de chier dans une sculpture d'Ai Weiwei pour pointer du doigt les failles de sécurité dans cette foire de superstars bankables. Au moment où je me dis ça, le garçon m'envoie une photo : trois socles en bois sur lesquels sont posés trois pains de campagne enveloppés dans du papier alu. L'œuvre coûte 40 000€. Une idée fuse : je pourrais tourner un petit reportage en catimini avec mon téléphone et faire mine de subtiliser l'un de ces pains pour m'en faire des casse-croûtes. Évidemment, je ne saccagerais pas l'œuvre, et puis dieu sait depuis combien de temps ces pains - si tant est que ce soient de vrais pains - sont enveloppés là-dedans. Non, je bricolerais une contrefaçon avec le concours de ma boulangère. Ma mayonnaise cérébrale est en train de monter, j'enfile un jeans large, des boots, ma canadienne, et je laisse tomber Libé non sans arracher le dossier spécial FIAC, on ne sait jamais. 

Dans le métro, je lis l'article et prends en note deux noms de galeries. Je répète mentalement : "Bonjour, je viens pour le décrochage. C'est pour Minotaure". Quand j'arrive à Champs-Elysées-Clemenceau, il est déjà 10h et demie. Mine de rien, toute cette fastidieuse pesée de pour et de contre dans ma cuisine a pris un temps fou et je suis censée être au bureau à 11h. Mais bon, ma rédac chef est une crème et je suis toujours à l'heure, je peux me permettre, pour une fois... Je longe le bâtiment, il fait grand soleil, j'ai trop chaud dans ma veste en mouton. Mais elle me donne la stature patibulaire d'une déménageuse d'art, si je l'enlève, tout le monde verra que je ne suis qu'une usurpatrice. Je demande à un premier gardien : "Pour le démontage de la FIAC, c'est où?" - il me demande : "Vous êtes de quelle boîte?" - et là, court-circuit. Je réponds : "Euh (regard à gauche), euh (regard vers le bas), euh (yeux fermés très fort et froncement de sourcils pour essayer de me souvenir), euh mimi, miiii MINOTAURE!" Heureusement, le vieil homme est lui même un peu à côté de la plaque, et puis il fait une tête de moins que moi, je suis sûre que je l'impressionne avec mon énorme veste en peau d'animal et mes gros godillots. Il m'indique l'entrée Sud. Je marche doucement vers la porte, le bâtiment est entouré de dizaines de camions, la rue est bloquée par des cars de police, le trottoir grouille de gens en salopette qui ont les bras pleins de paquets enveloppés dans du papier à bulles. Je monte l'escalier vers la porte tout en faisant semblant d'envoyer des sms pour ne pas trop avoir l'air de manigancer un mauvais coup. Je sue comme un porc. Mais j'y suis presque, je pense à cet article que je vais écrire sur mon imposture, peut-être qu'il sera relayé par d'autres médias, peut-être qu'il va circuler, peut-être qu'il va faire le buzz. Je suis dans le hall de l'entrée Sud du Grand Palais, et je viens d'employer le mot buzz. Liquéfaction. Même quand je fais n'importe quoi, il y a certains principes sacrés plantés comme des pylônes dans ma conscience : ne pas faire l'amour quand je n'ai pas envie, ne jamais rien acheter dans un magasin Primark, toujours me démaquiller avant d'aller me coucher (et ce même si je suis ivre morte), ne pas véhiculer de vidéos virales et ne pas agir (écrire, dessiner) par motivation de faire du buzz. Et puis ce mot me fout la gerbe, j'y associe de la merde (buzz/bouse), des mecs défoncés et sales ("fumer des buzz avec Manu derrière le gymnase" - les images de fumette entre lycéens se superposant automatiquement avec des scènes de branlette collective sur des canapés défraîchis en velours côtelé pleins de miettes de chips) et la voix de Mickaël Youn (La Beuze, film préféré des gars en LEP qui se mettaient sur la banquette arrière dans le bus et cramaient les poignées des sièges avec leurs briquets quand le chauffeur refusait de mettre le Morning de Cauet à la radio). Bref, le buzz, c'est Satan. Soulagée par cette reprise de conscience qui justifiait et excusait ma couardise, j'ai enfin pu ouvrir mon manteau et suis allée musarder un peu au bord de la Seine avant de reprendre le métro pour aller au turbin.

6 commentaires:

  1. Hey, c'est quoi le magazine où tu écris ?

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  2. Très chère Morille.
    As-tu seulement conscience de la qualité de tes écrits ? Toutes les images que tu utilises, le rythme de tes phrases (et tu sais, je suppose puisque tu me lis de temps à autres, à quel point le rythme est important, voire essentiel, à mes yeux et oreilles), le vocabulaire choisi, l'humour rigolo chamarré tellement marrant d'humour qu'il m'est déjà arrivé de me demander si je ne devais pas te proposer un stage (non rémunéré).
    Bref merci à toi pour ce texte ; c'est beau ce que tu fais.

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    1. c'est très gentil, ce que tu dis, gonzagus. sois assuré que si une place de stagiaire en calembredaines se libérait chez loumintope&associés, je serais extrêmement honorée de pouvoir venir m'y lover.

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  3. Très bon commentaire primarkien, je ne supporte pas de voir tous les demeurés avec leur sac en papier attendant comme des bœufs à Alexanderplatz.

    Encore un très bon article sinon.

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  4. Je suis vraiment très contente de savoir que tu es revenue.

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  5. vous êtes tous très gentils. du haut de la colline sur laquelle je siège présentement, je vous envoie quantité de bisous.

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