Un soir de semaine frisquet à Paris.
Je porte mon plus beau pull à paillettes, mes grosses lunettes et du
rouge à lèvres dans l'espoir de détourner l'attention de mon
menton dévoré depuis samedi par une inquiétante et spectaculaire poussée
d'acné – je ne sais si je dois incriminer les excès conjugués de
café et de tartines au Nutella premier prix ou une fantaisie
hormonale liée au stress. J'ai beau m'être tartiné le menton
d'anti-cernes, je suis persuadée que même dans la pénombre, toute
la ville n'a d'yeux que pour mes furoncles.
J'arrive dans un bar du 11ème au décor
laborieusement rococo. Les lustres dégueulent de pampilles, les murs
sont chargés de peintures à l'huile et le prix des pintes frise
l'indécence. Je suis invitée par les associations étudiantes des
grandes écoles de commerce parisiennes qui organisent ce soir un
concert-tremplin pour cinq groupes dont l'un se verra offrir une
interview avec mon magazine, une séance de photos et
l'enregistrement d'un album. Je suis le jury. L'un des organisateurs
me tient la jambe au bar, un jeune garçon asiatique bien peigné,
peau nette, lunettes carrées, t-shirt repassé. Il s'obstine à me
dire « vous » tout en affichant une incroyable
décontraction dans le small-talk, riant comme il faut aux blagues
dont j'essaye de d'agrémenter mes réponses à ses questions
génériques.
Le lieu se remplit doucement d'une
faune blanche et proprette tandis que je bois à toutes petites
gorgées une bière payée de ma poche - « désolé, on n'a pas
de budget prévu pour le jury, déjà les bières backstage pour les
artistes c'était limite, j'espère que ça va aller ? »
Non, ça va pas, mais j'ai soif, connard. Des grappes de filles aux
fines attaches, vêtues de voiles de soie et de maille fine, viennent
lui faire la bise en poussant des petits cris de souris. Je m’assois
à une table au fond du bar. L'air s'épaissit, le premier concert va commencer. Rapides présentations avec les autres membres du jury,
une jolie fille à l'épaisse crinière noire et un garçon aux yeux
doux. La foule les emporte, je reste coincée sur ma banquette avec
ma bière tiède. Le leader du groupe, une formation reggea-bonne
humeur, danse sur une jambe, ponctuant ses chansons de remerciements
à l'équipe technique, à son guitariste, au balafon (« Le
balafon, écoutez bien, Paris, un instrument africain ! Vous
entendrez pas ça tous les jours ! Le balafon, ouais ! »)
aux ondes positives du bar et à la vie. Une bande de grands dadais
en polos rentrés dans leurs pantalons vient se poster devant moi, me
bouchant la vue de leurs larges culs empotés. Ils dansent lourdement
d'un pied sur l'autre en faisant des mouvements de bras aléatoires,
gracieux comme les morceaux de viande qu'agite le gardien de zoo au
bout de sa pique sous le nez des ours bruns. Je m'extirpe
difficilement de mon enclave pour aller fumer une clope et me fais
alpaguer par un petit gars à tête de fouine qui me susurre « J'aime
bien ta chemise ». Je lui réponds que moi aussi et poursuis
mon chemin. Il me rattrape pour ajouter, l'air mauvais : « Ah
ouais, ben en fait, je crois que t'es la seule personne ici à aimer
ta chemise ». Ça tombe bien, lui dis-je, je suis heureuse
qu'elle ne fasse pas l'unanimité. Je sors mon paquet de clopes de ma
poche. L'avorton me demande : « Tu m'en passes une ? ».
Estomaquée par ce culot infect, je refuse, évidemment. Sortie. Je
suis seule avec ma cigarette au milieu des groupes qui pépient à
qui-mieux-mieux sur la chaussée et sens à ma droite les regards
méprisants de la fouine qui a retrouvé ses copains à mèches
déstructurées et leur murmure probablement des saloperies sur mon
compte. Je m'en fous, je suis le jury.
La soirée continue avec un
groupe d'obédience Kill The Young (moyenne d'âge : 15 ans)
dont le guitariste nain pète une corde après le troisième morceau.
La mère du chanteur s'est installée à côté de moi et se retourne
toutes les deux minutes pour tenter de me soudoyer avec des anecdotes
touchantes – telle chanson parle du père décédé de machin,
telle chanson a « vraiment un gros background si on écoute
bien les paroles », et puis là-bas, la dame qui tape dans ses
mains, c'est la mère du bassiste. Exaspérée par la mère bien
intentionnée et le manque d'alcool, je me faufile à grand peine
vers un autre coin de la salle. Partout les mêmes faciès, sourires
larges, bises et embrassades exagérément chaleureuses, « ma
chérie » par ci, « ma belle » par là. Les filles
secouent leurs cheveux propres et tapotent de leurs longs doigts
délicatement vernis sur des iPhones en housses de cuir. Au milieu de
la foule, le seul gars basané de la soirée porte un pull V pour
Vendetta par dessus sa jolie chemisette bleu pâle. Les groupes se
succèdent, inégaux – peu après minuit, à l'issue du dernier
concert (d'insupportables bellâtres à bretelles dont le leader,
sorte de Charlie Winston fini à la pisse, a tout une rangée de
groupies suspendues aux poils de son torse hispanique), nous trouvons
un consensus, les vainqueurs sont acclamés et, enfin, je peux
m'échapper de cet enfer. Je m'apprête à franchir la porte quand
ressurgit face de fouine, saoul comme un cochon. Il me barre le
passage et approche son visage à un centimètre du mien, me
demandant s'il peut m'ajouter sur Facebook. J'essaye de me
débarrasser de lui en racontant des histoires de rosicrucistes, mais
il ne lâche pas prise. Sous la pression, je lui donne mon numéro.
Tandis qu'il cherche désespérément la touche verte de son
téléphone pour faire sonner le mien, je prends la fuite.
Allez, remettons-nous ensemble de ce bal de têtes de cons avec de la bonne musique.
ton humour grinçant n'a d'égal que ton
RépondreSupprimerhum
ton humour grinçant est sans égal
pour ça bravo
Oh nous sommes le 22 décembre, c'est l'heure de répondre à ton commentaire, didonc !
SupprimerTrès chère Morille,
RépondreSupprimernous avons un point en commun, si je puis nommer "commun" ce point qui ne l'est que parce que la langue française nous autorise à accoler assez négligemment, presque académiquement, ces deux termes. J'admire ta manière de détourner l'attention du potentiel interlocuteur derrière paillettes, vermillon à bouche et lorgnons d'antan, je pratique (en amateur toutefois) également la diversion, usant néanmoins d'artifices un peu plus technologiques que les tiens : les tableaux Excel.
Il m’est souvent arrivé dans un passé glorieux, invité à quelque sauterie, de tomber sur nombre de midinettes fardées à l’outrance qui ne voyaient en mon imposant physique qu’un simple puissant vecteur de perpétuation, enjouée, de l’espèce. C’est légitime, je rencontrais les mêmes problèmes en France, dans un temps que les moins de vingt-ans ne peuvent pas blablabla.
Etant marié, aimant et aimantant, ne connaissant de l’infidélité que cette trouble parcelle me poussant parfois à lire du Verlaine, mais seulement les poèmes saturniens, et quand j’ai bu, je trouvai une solution bien simple : un classeur sous le bras, larges tableaux Excel et graphiques en tout genre poussent le vis-à-vis à poser des questions sur mon emploi et la raison de la présence de ces documents sous mes puissants biceps. Je réponds dès lors que je suis comptable, qu’il s’agit des chiffres du mois de mai 2008, qu’ils sont catastrophiques, tu veux voir ? qu’il me faut travailler sur ces résultats un peu étranges et ce dès ce soir, dès mon retour !
Résultat garanti. Plus aucune personne étrangère à mon cercle direct (au courant du subterfuge) ne prête attention à ma présence. Une diversion bon marché qui plus est, je ressors toujours les mêmes graphiques. Je te conseille la chose, d’autant qu’elle fonctionne en toute occasion (repas de famille, mariage de raison, concert Punk…)
Merci de me faire profiter de tes lumières et de ta riche expérience en matière de relations humaines. Je suis en ce moment même en Moselle, dans un lieu qui regorge de classeurs en tous genres (à deux anneaux, à quatre anneaux, à couverture plastique souple, avec des motifs (Simpsons, marques de streetwear, Diddl) - mais surtout, il y a plein d'INTERCALAIRES. Je vais essayer ta technique dès demain au Super U du coin.
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