Ces
derniers temps, je rêve souvent que je rate des trains, des avions
ou des soucoupes. Je pourrais aller voir un psy pour qu'il m'explique
que c'est juste l'expression de mon angoisse de passer à côté de
quelque chose, et qu'au lieu de courir après toutes ces choses, je
ferais bien d'apprendre à me concentrer, à faire des choix et à
accepter qu'on ne peut pas tout faire dans la vie. Et que se
disperser, si c'est d'abord grisant, ça n'apporte que des petites
satisfactions ponctuelles mais ça ne rend pas durablement heureux.
Mais comme je ne vais pas voir de psy parce que j'ai grandi dans un
petit village où ce genre de choses ne se font pas (on y est aussi
persuadé qu'on ne revient jamais d'un hôpital, et que la maison de
retraite est la pire chose qui puisse arriver à un vieux),
je me démerde avec les moyens du bord, je cherche des solutions et
il me vient des idées saugrenues, comme supprimer ce blog qui ne
fait que me renvoyer au visage mon inconstance et la somme de mes
médiocrités. A ce moment-là de ma réflexion, quand j'en arrive à
me dire que tout ce que je fais est médiocre, je réalise que je
suis à la fin de mon cycle menstruel, que j'ai toujours tendance à
faire n'importe quoi dans cette période, et je me donne une paire de
gifles. Après, ça va mieux. Alors je me dis que finalement, je vais
encore attendre un peu pour supprimer ce blog, et je me souviens que
je suis quand même chez moi ici, que j'y fais ce que je veux, et que
là j'ai très envie d'y publier cette interview de César Luis Menotti que
j'ai lue dans un vieux numéro du magazine de la Süddeutsche
Zeitung, parce que le personnage m'était hautement sympathique.
Voilà donc cette interview, les propos de César ont été
recueillis par Peter Burghardt, c'était dans le numéro 25 daté du
21 juin 2013, c'est moi qui ai traduit avec les moyens du bord, et si
vous n'en avez rien à cogner du foot c'est pareil, moi je trouve que
c'est une belle interview.
Le
bureau de l'ancien entraîneur César Luis Menotti se trouve depuis
des années en plein centre de Buenos Aires. Pep Guardiola, le futur
entraîneur du Bayern, le cite parmi ses grands modèles – il
fallait donc absolument que nous nous entretenions avec Menotti avant
les débuts de Guardiola à Munich. Les coups de fil et les e-mails
s'égarent d'abord dans le vide, chose habituelle avec Menotti, un
premier rendez-vous tombe à l'eau à cause d'un orage. Puis, enfin,
il nous reçoit sans chichis dans un appartement un peu sinistre.
Chemise grande ouverte, tignasse grise. Très mince. El flaco,
le maigre. Sur son bureau, il y a une photo de Che Guevara, qui comme
Menotti et Lionel Messi est originaire de Rosário.
Aux murs, des photos avec Diego Maradona, Alfredo Di Stéfano, Johan
Cruyff et autres mythes du football, ainsi qu'avec l'écrivain Jorge
Luis Borges. D'antiques coupures de journaux sont empilées sur une
vieille étagère. Menotti va sur ses 75 ans. Etrangement, le
cendrier de ce fumeur légendaire est vide.
SZ-Magazin
: Vous ne fumez plus ?
César
Menotti : J'ai arrêté il y a deux ans, le 3 mai. De temps en temps,
je fume un cigare, quand je fais la fête ou que je suis en bonne
compagnie, mais jamais de cigarettes.
Ça
a été très dur ?
J'imaginais
que ça le serait encore plus. C'est mental, tout ça. Le plus dur,
c'est quand tu te retrouves seul, là, tu as envie de fumer. Mais
arrêter, ça change vraiment la vie. Maintenant, je nage trois,
quatre longueurs d'affilée dans la piscine de ma finca, alors
qu'avant il en suffisait d'une pour m'achever.
Et
votre addiction au football n'a pas diminué, bien que vous
n'entraîniez plus d'équipe depuis longtemps ?
J'écris
beaucoup et j'étudie de plus en plus le foot. J'adore débattre
là-dessus, c'est un jeu si fascinant, si complexe. Quand j'entends
certaines personnes, j'ai parfois l'impression qu'on ne parle pas du
même jeu. Un jour, j'ai dit à un joueur qui s'obstinait à toujours
garder la balle : Tu sais ce que c'est, le seul truc qu'on emporte
partout avec soi au foot ? Ton sac, avec tes vêtements, ton rasoir
et ton shampooing, ça c'est ce que tu dois garder avec toi. Le
ballon, tu dois le passer.
Vous
parlez du "foot de gauche" pour un style romantique,
offensif, avec des passes courtes, élégantes et rapides, et d'un
"foot de droite" qui se caractérise par un style odieux,
défensif, requérant beaucoup de contacts physiques. Dans le foot de
gauche, vous êtes toujours une référence.
Je
vois souvent des matches incroyablement laids... Beaucoup de gens se
sentent représentés par ce que je fais. A Rosario déjà, nous
avions des joueurs formidables et un jeu grandiose, Messi aussi vient
de là-bas. Souvent, pour rire, je dis que je ne sais pas si le FC
Barcelone d'aujourd'hui gagnerait contre mon FC Barcelone
d'autrefois. A l'époque, il n'y avait pas dix étrangers, seulement
deux. J'avais Diego Maradona et Bernd Schuster, mais tous les deux
ont été longtemps blessés.
L'entraîneur
du Bayern, Pep Guardiola, vous adule. Il est arrivé en 1984, à 13
ans, dans la relève du Barça, quand vous étiez encore entraîneur
là-bas. Bien plus tard, il vous rendit visite à Buenos Aires.
Comment se sent-on en tant que mentor d'un jeune entraîneur prodige
?
Guardiola
fait partie de la même espèce que moi, c'est sa vocation. Quand il
a décidé en 2007 de devenir entraîneur, il est venu en Argentine
et m'a téléphoné. Nous sommes allés manger ensemble et avons
passé la nuit, de 21h à 3h du matin, dans ce restaurant. C'était
avant qu'il ne reprenne l'équipe-réserve du FC Barcelone. J'ai
beaucoup de sympathie et de respect pour lui, il est à la fois
spécialiste et avide de savoir. Il savait exactement ce qu'il
voulait.
Et
malgré ça, il avait besoin de conseils ?
Il
voulait étendre ses connaissances. C'est comme quand tu sais comment
doit sonner un violon mais que tu demandes quand même l'avis d'un
professeur de violon. Il est allé partout avec cette idée en tête.
Il a rencontré des gens comme Marcelo Bielsa, Arrigo Sacchi et moi
pour consolider ses idées. Quand il a débuté, il était déjà
très bien préparé.
Entre
temps, Pep Guardiola est considéré comme un magicien, parce qu'il a
tout gagné avec le FC Barcelone. Après ça, il a pris un congé
sabbatique, emménagé avec sa famille à Manhattan, il est allé
manger avec Woody Allen, puis a signé au FC Bayern. Qu'est-il au juste, comme genre de personne ?
Un
entraîneur formidable, intelligent, qui aime le foot, mais pas
uniquement le foot. Hippocrate disait à peu près : Celui qui ne
connaît que la médecine ne connaît rien à la médecine, et celui
qui ne comprend que le foot n'a rien compris à rien, et surtout pas
au foot. Ce garçon est cultivé, il aime le théâtre. Et il a une
très bonne oreille. Le foot a besoin de bonnes oreilles.
Des
oreilles ?
Quand
tu es entraîneur, le foot sonne dans ta tête. Soit il sonne comme
un troupeau de chevaux sauvages, soit comme un orchestre symphonique,
avec des violons comme Iniesta et un violoncelle comme Busquets. Une
équipe de foot est comme un orchestre, la somme de nombreuses
répétitions et de l'engagement des musiciens.
Guardiola
avait quelques uns des meilleurs joueurs du monde au FC Barcelone,
entre autres votre compatriote Lionel Messi. Peut-on commettre des
erreurs avec de tels personnages ?
J'ai
écrit un jour que Guardiola aurait dû recevoir le ballon d'or du
meilleur footballeur en tant qu'entraîneur. Il m'a répondu en ne
faisant que l'éloge de ses joueurs. Il est tellement modeste,
j'aurais pu lui passer un savon. Je crois que Pep a rendu ces
formidables joueurs encore plus formidables.
Comment
arrive-t-on à ce résultat ?
Il
a une idée du son que doit avoir son orchestre. Quand le seul
objectif d'un entraîneur est de gagner, les choses deviennent
difficiles. C'est pour cela que tout sonnait si bien chez lui. En
outre, il a mis dans la tête de ses joueurs quelque chose que
d'autres équipes n'ont pas : de l'ordre peut naître la liberté, et
donc l'aventure.
Comme
chez Jorge Luis Borges, qui écrivait que la littérature, c'est de
l'aventure et de l'ordre ?
Exactement,
mais il faut toujours revenir à l'ordre après l'aventure. Celui qui
ne respectait pas ça, Guardiola le faisait remplacer.
Cet
état d'esprit est-il tellement rare ?
Il
y a très peu d'entraîneurs au monde qui ouvrent la porte du
vestiaire, disent "Bonjour messieurs", et les joueurs
savent immédiatement comment ils doivent jouer. Aujourd'hui encore,
je peux aller chez un gamin de 15 ans et il saura ce que je veux.
Qu'il ne doit pas courir 20 mètres avec la balle mais la passer
d'abord et courir ensuite, ce genre de choses. Je n'ai plus besoin de
dire ça. Combien sommes nous, à pouvoir faire ça ?
En
dehors de Guardiola, il y a aussi d'autres jeunes entraîneurs comme
Jürgen Klopp à Borussia Dortmund qui ne font pas ça trop mal, non
?
Par
exemple. Mais Dortmund n'arrive pas à tenir le coup dans les matches
importants. Ils jouent en smoking, mais quand il n'y a plus que 15mn
de jeu et que la fête commence à devenir épuisante, ils ôtent
leurs beaux costumes, enfilent des salopettes, et c'est là qu'ils
jouent le plus mal. Comme contre le Real Madrid et le Bayern München.
C'est pour ça que les Bavarois ont gagné contre eux. Il faut
beaucoup de conviction, de la clarté et du caractère. N'importe qui
peut gagner un championnat, la Coupe d'Europe a déjà été
remportée par beaucoup d'imbéciles et d'ignorants. Mais remporter,
en cinq and, 15 titres sur 19 comme Guardiola, et à la fois faire
remplacer des joueurs qui ont totalisé 50 buts, un type comme ça,
c'est rare. Pour moi, le travail de Guardiola est brillant, je dirais
même unique.
Est-ce
que Pep Guardiola n'arrive pas trop tard ? Le Bayern vient de rafler
tous les titres sous la houlette du très sage Jupp Heynckes. En mai,
Guardiola était de retour à Buenos Aires pour une conférence, vous
avez à nouveau mangé ensemble. Etait-il nerveux ?
Oui,
il se fait du souci. Pour la première fois depuis l'invention du
football, un entraîneur qui a gagné la Ligue des Champions, le
Championnat, la Coupe et la Supercoupe, s'en va. Où a-t-on déjà vu
pareille chose ? José Mourinho a quitté le Real Madrid parce qu'il
n'avait rien gagné. Le Bayern a tout gagné. Mais je pense vraiment
qu'engager Guardiola est une belle idée.
Malgré
les succès de ses prédécesseurs ?
Même
le Bayern a besoin d'un coup de peinture. Ce genre d'équipe ne se
contente pas de gagner un Championnat et une Ligue des Champions, ils
veulent être les protagonistes à chaque fois. Je crois que les
projets de Guardiola sont très bons même si ça ne sera pas
forcément facile dans la famille du Bayern, avec Rummenigge, que je
connais bien, Beckenbauer, etc. Pep se réjouit de la tâche, et la
ville lui plaît aussi. Il parle bien anglais et italien, l'allemand
ne devrait pas lui poser de problème. Je crois qu'il en fait un peu
trop avec sa nervosité, il n'aura aucun mal à se faire comprendre.
Je trouve qu'il est très allemand pour un catalan, ordonné,
sérieux. Il travaille beaucoup, il s'entraîne beaucoup. Sa
personnalité colle bien à Munich, cette ville est faite pour lui.
Comment
est Munich selon vous ?
Les
gens s'y saluent courtoisement. Ici, en Argentine, et en Espagne, ils
se jettent tout de suite sur toi. A Munich, il pourra se promener
dans les rues avec sa femme et ses enfants même après une défaite
de l'équipe. J'ai l'impression que certains joueurs du Bayern,
intérieurement, jouent déjà pour Pep. Certains qui, avant, avaient
l'habitude de garder la balle plus longtemps, qui étaient plutôt
individualistes. Pep sera comblé là-bas. Personnellement, j'aime
Munich, pour moi c'est une des plus belle villes du monde. Mieux
encore que Paris. Depuis 1979, je vais tous les ans à Munich, je
suis invité à beaucoup de fêtes. Je ne sais plus quel imbécile de
journaliste argentin a dit qu'après 18h, à Munich, tout le monde
est au lit. Ce crétin ne connaissait probablement pas les nuits et
les femmes munichoises, il devait vivre dans une cave.
Munich
et les Bavarois peuvent donc se réjouir de l'arrivée de Pep
Guardiola ?
Les
joueurs savent déjà ce qu'il veut. En plus, il est très
obsessionnel sans pour autant casser les pieds aux gens. Il regarde
beaucoup de matches, il connaît ses joueurs, et il veut faire des
corrections sans les décharger de leurs responsabilités. L'Argentin
Javier Mascherano du FC Barcelone m'a dit que Guardiola voit des
choses qui aident énormément sur le terrain. Les joueurs l'estiment
beaucoup. Guardiola sait très exactement ce que fait le défenseur
gauche au Bayern, quelle est sa pointure de chaussures et s'il dort
bien. Il comprend que la seule chose vraie, dans la vie, c'est
d'apprendre, inlassablement, jusqu'à la mort.
Ça
sonne presque comme un zèle maladif... Comment rend-on encore
meilleure une équipe comme le Bayern ?
Il
va tâcher de stabiliser la réussite. Mais son but ultime sera
d'établir une relation émotionnelle entre les spectateurs et
l'équipe. Pour que, même si le Bayern perd, les gens disent : On a
perdu, mais qu'est-ce qu'on a bien joué ! Il y a deux chemins : soit
tu transformes le terrain en un champ de bataille où galopent les
chevaux sauvages, soit tu en fais un atelier dans lequel des artisans
fabriquent des œuvres d'art. Ça, c'est Guardiola. Quand tu regarde
jouer une des ses équipes, c'est très probable qu'elle te rapproche
un peu plus du Beau.
Maintenant,
le foot allemand est plutôt joli à regarder, non ?
Je
n'ai jamais compris pourquoi tout le monde ne parlait que de la force
et de la discipline des Allemands, ça m'a toujours exaspéré au
plus haut point. Il y avait Overath, Beckenbauer, etc (note à ceux
qui comme moi ne connaissent rien au foot : des joueurs à la
technique très raffinée), ils jouaient bien mais n'avaient pas
toujours le bon entraîneur. S'il y a quelqu'un qui comprend la
philosophie, la littérature, la créativité et l'art, ce sont bien
les Allemands, et ce malgré les guerres. Les Allemands sont des gens
amusants, ils picolent jusqu'à 6h du matin et sont de nouveau sur
pieds à 8h. Les Allemands construisent de belles voitures. Et
maintenant, ils jouent aussi un beau football. Vous avez un pays
formidable. A Munich, les femmes font du vélo avec leurs enfants à
l'arrière, il n'y a pas cette cacophonie incessante de klaxons toute
la journée comme ici. Guardiola y sera très heureux.
Quelle
influence a un entraîneur ?
Quelle
influence a un professeur de maths ? Un mauvais professeur fait de
votre vie un enfer, c'est pour cela que je détestais les
mathématiques. Un grand entraîneur avec de grands joueurs peut
faire une grande équipe. Un grand chef d'orchestre avec de grands
musiciens peut faire un grand orchestre. Un mauvais entraîneur ne
parviendra qu'à des résultats médiocres, même s'il choisit les
meilleurs violons. Et tu dois réussir à te faire accepter non
seulement pour tes compétences mais aussi comme une personne loyale.
Le football requiert beaucoup de don de soi.
Est-ce
Guardiola qui a fait de Messi le meilleur attaquant du monde ?
Guardiola
a dirigé Messi et, de temps en temps, l'a aussi laissé à l'écart,
il ne l'a pas cantonné à une fonction et n'en a jamais fait un
Sauveur. En Argentine, ils envoient Messi à n'importe quel match
amical parce que la partie vaut alors un million de dollars. C'est
une honte.
Lors
de sa récente apparition à Buenos Aires, Guardiola a été présenté
comme une espèce de gourou. N'est-ce pas un peu exagéré ?
Pep
a montré à Barcelone que même en cas de tempête, il gardait le
contrôle de son bateau de telle sorte que les gens dans les cabines
ne se rendent compte de rien. Mais ça n'a rien à voir avec de la
magie. Il s'agit là d'un jeune homme qui fait face à un grand défi
dans un grand club. C'est un face à face de deux grands champions.
L'Espagne
et l'Allemagne vous ont-elles à nouveau réconcilié avec le
football ?
Moi
et beaucoup d'autres aussi. On regardera encore plus la Bundesliga
avec Guardiola que la ligue espagnole. Aujourd'hui, je vais dans mon
restaurant et les gens me demandent si j'ai vu le super match des
Allemands. Tout le monde parle de l'Allemagne. Je crois que ça a
beaucoup à voir avec la Coupe du Monde de 2006, avec Klinsmann, qui
était autrefois mon attaquant à Gênes, et avec ce jeune qui
s'occupe de tout ça maintenant...
…
Joachim Löw ?
Oui,
lui. D'un coup, les Allemands ont ressorti des drapeaux, je n'avais
encore jamais vu autant de drapeaux dans un stade allemand. Ici c'est
normal, mais en Allemagne ? Klinsmann les a fait jouer autrement, il
a répandu un autre message. Il y a eu une profonde métamorphose. Je
crois que le Bayern et Borussia Dortmund font pencher la balance vers
l'Allemagne au détriment de l'Espagne, et cela va s'accentuer encore
avec l'arrivée de Guardiola. C'est contagieux. Il y a beaucoup de
joueurs excellents. Ce garçon que le Bayern a acheté...
...Mario
Götze ?
Oui,
quel âge a-t-il ? 21 ans ? Et ne veulent-ils pas encore acquérir
cet avant-centre de Dortmund ?
Le
Bayern achète Götze à Dortmund pour 37 millions d'euros, Barcelone
paye 57 millions d'euros pour Neymar. Que dit de ces sommes quelqu'un
comme vous, qui se qualifie de "marxiste hormonal" ?
L'expression
provient de l'écrivain José Saramago, mais je me sens comme ça
aussi. Je ressens un certain dégoût du capitalisme. Je crois qu'il
ne devrait pas y avoir de monde aussi fondamentalement injuste. Mais
bon, nous vivons tous du football. A l'intérieur de ce système,
nous nous devons de respecter le patrimoine culturel que représente
le football en tant que jeu. Aujourd'hui, le foot appartient au Big
Business, et si quelqu'un décide que le match sera joué à 3h du
matin ou en Afrique, le match sera joué à 3h du matin ou en
Afrique. L'Argentine et le Brésil n'ont plus de culture du football.
Autrefois c'était comme ça en Europe, maintenant c'est l'inverse.
Quel
rôle joue la télévision ? Chaque match y est retransmis, si
minable soit-il...
Il
faut avoir le regard très affûté et un grand savoir pour
comprendre le football à la télévision. Il faut voir où se
tiennent les autres joueurs, si les défenseurs réduisent les
espaces, si des espaces sont créés à d'autres endroits, s'il est
judicieux de garder la balle en sa possession. A la télé, tu ne
vois presque rien. La caméra suit la balle, mais quand c'est Messi
qui l'a, tu ne sais pas où est Piqué.
Vous
êtes devenu champion du monde en 1978 sous une dictature sanglante.
Regrettez-vous cela aujourd'hui ?
Non.
Il n'y a rien de plus grandiose que de gagner une Coupe du Monde à
domicile. Et pensez-vous que le dictateur Jorge Videla ait inventé
la dictature ? Il n'était qu'un chien sanguinaire parmi d'autres,
pas le propriétaire des chiens. C'était quelque chose de plus
profondément ancré, qui s'était mis à germer bien avant,
là-derrière il y avait l'industrie, le capitalisme sauvage, les
monopoles. Moi, comme j'étais un gars de gauche, la junte militaire
voulait d'abord me foutre dehors. Et la Coupe du Monde n'a pas
beaucoup servi aux généraux, ils se sont plutôt tiré une balle
dans le pied. Nous avons fait descendre 20 millions de personnes dans
les rues, malgré la peur et le couvre-feu, malgré l'interdiction
des rassemblements de plus de trois personnes. Il n'y a que le
football qui puisse faire ça.
De
nos jours, le football est censé tout expliquer dans la vie. Camus a
dit...
…
que tout ce qu'il
sait de la vie, il l'a appris sur un terrain de foot. Parce que le
foot est une guerre des mots. On n'a le droit de se servir ni des
bras ni des mains, il suffit d'une tentative de gifle pour écoper
d'une sanction. Cela dépend bien évidemment de l'arbitre, comme
dans les autres situations de la vie, mais les règles sont claires.
Le joueur et l'arbitre ont tout en main pour ne pas faire du terrain
un champ de bataille. Et il ne faut pas oublier : le terrain est
grand, 7000 mètres carrés. Si tu divises ça par 10 joueurs, chacun
doit s'occuper de 700 mètres carrés, ce n'est pas évident.
Le
football est-il toujours ce qui se fait de mieux en matière de jeu ?
Le
football est un jeu merveilleux et extrêmement sage. Le secret du
foot, c'est le temps, l'espace et l'illusion. Comme dans la vie.
Gérer le temps, trouver de l'espace et maîtriser l'illusion.
Une bien belle traduction et un bien beau témoignage, à ceci près qu'il me semble étrange qu'Hippocrate ait dit que "celui qui ne comprend que le foot n'a rien compris à rien, et surtout pas au foot".
RépondreSupprimerMerci d'avoir pris le temps de traduire tout cela. Ca a dû te prendre de nombreuses heures.
Merci Gonzague, je suis contente que ça ne plaise pas qu'à moi ! J'y ai passé deux petites heures, c'est vraiment pas une langue très compliquée.
Supprimerhaaaa, je n'ai pas réussi, je n'ai pas pu tout lire.
RépondreSupprimerd'où me vient cette question :
"celui qui n'a rien compris au foot n'a rien compris à rien ?"
(mais j'avoue, belles analogie avec la musique, l'orchestre, etc...)
C'est pas grave, Fred, je te mets quand même un point pour ta bonne volonté.
SupprimerJe n'ai pas pu aller plus loin que la fin de son addiction à la cigarette et encore en sautant l'introduction de présentation. Assurément la chose la plus passionnante que je n'ai pas lu sur ce blog.
RépondreSupprimerAlors je me demande, ne serait ce pas là un appel du pied (!) à tous les footeux et en particulier ceux ou celui qui te sont ou te furent proche ?
J'espère que tu vas bien sinon, bise.
Franck
Bravo Franck ! Tu as tout compris.
SupprimerTin j'avais loupé plein de trucs.
RépondreSupprimerMerci! Excellent...
RépondreSupprimerMerci! Excellent...
RépondreSupprimerMais de rien, tout le plaisir était pour moi :-)
SupprimerMerci pour cette traduction, César Luis Menotti reste vraiment quelqu'un unique....
RépondreSupprimerMais de rien, de rien ! Je ne connais rien au foot mais c'est vrai que c'est une putain de belle interview.
Supprimer(Tiens donc, on peut poster des commentaires anonymes?)
RépondreSupprimerC'est quand même incroyable que, quand comme moi, on est Ménottiste et non-hispanophone, on trouve le meilleur article (?) sur le maitre au détour d'un blog, certes très sympathique, mais qui n'a rien a voir du tout avec le football.
Il me semble moins étrange qu'Hippocrate ait dit que "celui qui ne comprend que la médecine n'a rien compris a la médecine".