mardi 16 avril 2013

Digital design, subspace et pieds qui puent

"FIVE, FOUR, THREE, TWO... waitwaitwait, are we ready? Ok... wait... it looks like we still have a little problem..."
Il est un peu plus de 21h à la galerie Platoon, dans la Schönhauser Allee. Je suis coincée sur un escalier en fer, les fesses meurtries malgré ma nouvelle culotte en graisse ramenée du Canada cet hiver (spécial dédicace aux frites de Kensington Market! Je ne vous oublie pas, vous avez fait un boulot formidable les meufs). Derrière moi, Vivipare trépigne, la fille à ma gauche prend des notes sur l'agencement des sources de lumière dans la salle, un peu en contrebas un jeune quadra couvert de gel effet mouillé drague deux frêles Polonaises, et sur ma droite, les boots en simili-cuir d'une jeune pétasse exhalent une odeur de champignonnière. L'événement de ce soir, une bataille de dessin ("Digital Design Tournament"), se déroule dans le cadre de Pictoplasma, un festival de cinéma d'animation et de joli dessin sur Photoshop. La galerie est pleine à craquer de gens en bonnet qui se photographient les uns les autres avec leurs iPhones en attendant le début du spectacle qui devait commencer il y a plus d'une heure. Le principe du tournoi : trois équipes de deux sur une scène, derrière des ordinateurs, un thème imposé (developing a pair of metaphorical characters based on elements that have a complementary relationship like “Bread & Butter,” “oil & water” or “yin & yang” during 3 rounds of design.), quatre écrans qui diffusent les images des compétiteurs en train de dessiner. Le problème, c'est que trois des quatre écrans ne fonctionnent pas. Ça ne semble chagriner personne, les candidats sont contents d'être sur scène, ils ont une caisse de bière rien que pour eux et prennent des airs importants derrière leur grande table couverte de matériel HP (le sponsor de la soirée), les jurés se pavanent dans des t-shirts qu'ils ont designés eux-mêmes (une exception : le fondateur d'Anima Boutique porte un pull à capuche en peau de tigre) et font du networking, les techniciens débranchent et rebranchent mollement quelques fils et le présentateur circule parmi tous ces gens en leur posant au micro des questions inaudibles à travers la mélasse dubstep que nous inflige un connard de DJ mal rasé en guise d'ameublement acoustique. Le seul écran qui fonctionne diffuse en boucle les règles du jeu et les noms des candidats dans un graphisme grandiloquent digne de The Voice, sur les trois autres clignote désespérément   No Signal . Le présentateur nous annonce qu'il faudra se résoudre à suivre le spectacle sur un seul écran, mais là c'est bon, tout va bien, la caméra est branchée, ça peut commencer! Ça y est! Pour la deuxième fois, il nous exhorte à compter avec lui : FIVE, FOR, THREE, TWO, ONE, GOOOO! Il donne un coup de poing en l'air comme Sangoku, le public hurle, les candidats se mettent à griffonner sur leurs tablettes graphiques, et l'écran reste bloqué sur le diaporama précédent. Une dizaine de minutes s'écoulent. Nous contemplons six dessinateurs sans voir ce qu'ils dessinent. Une fille court de l'un à l'autre avec une caméra, il y a plusieurs photographes sur la scène, l'écran nous invite à twitter nos impressions sous #characterized. Je pense à Desproges, qui, dans un de ses réquisitoires, suggérait à François Béranger de fermer sa gueule et de se mettre à la peinture, et s'engageait à mettre à sa disposition toute la fortune amassée par sa famille pendant l'Occupation pour financer une radio, "ça s'appellerait Radio-Palette, elle vous serait exclusivement réservée, à vous tous, chanteurs et chanteuses de France, et vous peindriez et nous vous écouterions peindre. Le nirvana." 


Les personnages (source)

Le présentateur a beau s'excuser, promettre que l'équipe technique met tout en oeuvre pour régler le problème, je commence à être irritée par ce cirque. L'image finit par apparaître, on aperçoit enfin quelques croquis, il y en a un qui me plaît bien, une espèce de tube digestif, le type est en train de dessiner plein de petites circonvolutions qui s'entassent dans une barque, mais il faut passer aux images de l'équipe suivante. Sauf que la transmission des images de l'équipe 2 ne fonctionne pas. L'un des membres nous décrit donc son dessin, à la faveur d'un petit flottement sans basses dans le morceau qu'est en train de nous asséner DJ Tympan, on apprend qu'il est question de space et de subspace. Puis c'est la pause. C'est le moment que choisit le type plein de gel pour se retourner et me demander si je suis aussi dans le character design. Je lui dis que non, désolée, moi je fais du piano. Il frise le court-circuit, me demande si, du coup, je suis dans la musique de film. Non, désolée, je joue juste du piano, Beethoven, des trucs comme ça, ah et puis je suis serveuse aussi, mais ma copine, là, derrière, elle fait du dessin animé. Il fait un clin d’œil complice à Vivipare en lui expliquant que lui aussi, dans le temps, il faisait de l'anim', qu'il a gagné un max de pognon avec ça, mais, genre, vraiment un max, et que maintenant il dirige une boîte, une grosse boîte, et qu'il est connu, genre, vraiment connu dans le milieu (re-clin d'oeil). Pendant qu'il refile sa carte de visite à une des Polonaises, on prend la fuite.

En rentrant, je me promène sur le site de l'événement, une page chiadée qui affiche sa programmation dans des métropoles du monde entier avec la même arrogance que ce kebab dont je recevais régulièrement le flyer bourré de fautes d'orthographe et qui tentait d'appâter ses clients avec l’énumération : Istanbul, Abu Dhabi, Los Angeles, Strasbourg. Ça ne me dérange pas trop de m'être fait entuber de la sorte, j'ai bien ri finalement, mais j'ai une pensée pour les vainqueurs du tournoi à qui HP a refourgué un écran en guise de premier prix. A l'heure qu'il est, il a probablement déjà été écoulé en pièces détachées au Mauerpark.

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