samedi 2 novembre 2013

L'automne à Berlin - jour 2

Affalée dans la S-Bahn en rentrant de la fac, je feuillette le dernier numéro de Fräulein dont l'éditorial rageur crie la nostalgie d'une époque où la mode ne s'asservissait pas aux blogueurs et aux journalistes, où les créateurs pouvaient se prendre le temps de concevoir leurs collections et les défilés étaient des cérémonies. J'aime ce magazine pour ses interviews, ses belles séries de photos et ses illustrations qui traînent un peu partout dans les marges, mais je ne comprends pas vraiment pourquoi le rédacteur en chef s'agite comme ça. Hey, vous êtes un (excellent) magazine de mode, quoi. Laissez-moi m'extasier tranquillement sur les motifs de ce manteau de Dries Van Noten et ne venez pas entraver l'exquise futilité de ce moment avec vos pamphlets à la noix. J'en suis là dans mes réflexions quand vient s'engouffrer dans mes narines une délicieuse odeur de fromage fondu. Je sors d'une répet qui m'a épuisée et je n'ai encore rien mangé, aussitôt l'eau me vient à la bouche. Maman a passé quelques jours chez moi et a rempli mon frigo de toutes ces merveilles dont j'ai pris l'habitude de me priver, parmi lesquelles du brie, du munster et quelques autres fromages odorants. Je détaille mentalement les étapes de mon repas à venir : d'abord j'irai acheter un petit Mischbrot (un pain pas blanc mais pas noir non plus) dans ma boulangerie préférée, ma boulangère sait que je ne prends jamais de sachet comme j'habite juste à côté et me le tendra comme d'habitude avec un sourire entendu en me souhaitant une bonne après-midi, la tête légèrement inclinée sur le côté. Je monterai les trois étages jusqu'à mon appartement tellement vite que je n'aurai même pas le temps d'être essoufflée. Avant d'enlever ma veste et mes chaussures, je couperai le quignon et le mangerai en me déshabillant. Puis je beurrerai quelques tranches de pain, j'éplucherai une carotte, je déballerai les fromages et disposerai le tout sur une assiette que je transporterai sur mon bureau. J'irai chercher un verre d'eau à la cuisine, je mettrai sur ma platine le disque de la symphonie avec orgue de Saint-Saëns et je démarrerai le festin.
Je suis presque arrivée, encore deux arrêts jusqu'à Alexanderplatz. L'odeur de fromage devient plus intense, la faim me tord les boyaux. C'est là que j'entends approcher la mélopée : Hat jemand 'ne kleine Spende für 'nen Obdachlosen mit 'nem entzündeten Fuß ? Vous avez pas une petite pièce pour un pauvre sans-abri au pied nécrosé ?
Je n'ai pas vomi mais c'était pas loin.

***

Erika Giovanna Klien, extrait du Klessheimer Sendboten, journal graphique
génial dont on peut voir quelques unes des pages à la Berlinische Galerie,
dans l'expo Wien Berlin

5 commentaires:

  1. "Elle me le tendra comme d'habitude avec un sourire entendu en me souhaitant une bonne après-midi, la tête légèrement inclinée sur le côté." Donne son adresse mail, un certain loubok lui fera sans doute SUPER plaisir pour mettre contre elle dans son lit je crois.

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    1. Non mais le VICE dans ta tête ! C'est une vieille Polonaise fripée.
      Enfin tu me diras que ça n'empêche rien.

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  2. La symphonie "Orgue" de St Saëns? Parce qu'on ne plaisante pas avec le fromage!

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  3. alors du coup finalement tu as mangé des pieds de porcs en gelée ?

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    1. du coup j'ai d'abord rien mangé du tout. puis j'ai réussi à absorber un thé au gingembre. et après j'ai mangé des pâtes avec pleinplein de FROMAGE.

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